1762-12-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

O mes anges l'épouseur est arrivé, c'est un demi philosophe.
Il n'a rien pour le présent, mais il y a quelque apparence qu'il aura melle Corneille, et que made Corneille aura plus que je ne vous avais dit. La terre qui doit revenir au philosophe est dans la Bresse, dans mon voisinage. Tout quadre à merveilles. Le père ne donnera probablement à son fils que son aprobation et peu d'argent. On y suppléera comme on poura. Il est assez plaisant que je marie une nièce de Corneille, c'est une plaisanterie que j'aime beaucoup.

Le demi philosophe n'est point effarouché que la future ait fait peu de progrès dans la musique, dans la danse, et autres beaux arts. Il ne danse ny ne chante ny ne joue. Il est pour la conversation, et il veut penser.

Je pense qu'il conviendrait que M. le duc de Choiseuil ne réformât pas la compagnie du futur. Il ne faut pas donner ce dégoust à Cinna, ce serait un triste présent de noces. Il est bon d'ailleurs de conserver des officiers qui ne sont pas des petits maîtres.

A propos de Cinna, on dit que cette Eponime que le Kain m'avait vantée avec tant d'entousiasme est un fort mauvais ouvrage. On m'assure que l'autheur est un ivrogne qui n'a pas le vin poétique. Melle Clairon trouvait la pièce admirable. Gardons nous des décisions du tripot.

Ma famille suisse dont je vous avais parlé va partir pour la Floride. C'est le plus beau des climats. L'inquisition va en être bannie. Si je n'étais pas à Ferney il me semble que j'irais à la Floride.

Je vous salue mes anges. Que les comédiens négligent Mariamne et le droit du seigneur et qu'ils donnent des Eponimes, ils sont les maîtres. Conservez vos bontez à qui vous adore.

V.