10 xbre 1762
Mes divins anges vous avez beau faire on ne commande point au diable.
Les sorciers seuls ont ce privilège, et c'est le diable qui me commande. Il s'empara de moy il y a bientôt dix huit mois et me fit faire en 6 jours la sottise que vous savez. J'étais ivre de mon ouvrage au septième, mais l'âge m'a rendu un peu défiant; et surtout je me défie de moy même. Mes chers anges, je vous parlais d'attendre au carême, à présent je vous supplie de remettre à pâques. Plus on attend plus valent les tragédies. Vous ne chommerez point cet hiver. Vous avez Eponine dont on dit beaucoup de bien. Il y a force tragédies, force comédies, vous aurez le plaisir de voir des succez et des chuttes. Soufrez que cet hiver je me donne tout entier à mon paradis de Ferney, au csar Pierre, à Corneille, à l'histoire universelle. Quand j'aurai fait tout cela, et que ma tête sera libre, alors vous aurez tant de vers qu'il vous plaira.
Sachez de plus ô anges qu'il y a sur le métier un ouvrage à l'occasion des Calas qui pourait être de quelque utilité, à ce que disent les bons cœurs, et pour le quel on vous demandera votre suffrage et votre protection.
Je vous remercie historiquement de m'avoir confirmé la cession de la Floride. Quelle honte! quelle guerre! Les ministères de Philippe trois et de Philippe quatre ne se conduisirent pas plus misérablement que les Espagnols d'aujourdui!
Oh que votre aimable duc de Pralin a bien fait de finir tant de pauvretez! Il a rendu service au genre humain et surtout aux Français. Je me soucie très peu du Canada, je ne l'ay jamais aimé, mais la paix nous devenait nécessaire comme le manger et le dormir. Je l'en remercie encore, et je suis enchanté que ce soit votre ami qui ait fait une si bonne œuvre.
Vous me dites toujours que je ne réponds point aux chefs d'accusation, que je me tais sur Zulime, sur Mariamne. Je reverrai Mariamne et Zulime quand je r'aurai ma tête, j'entends ma tête poétique. Aprésent je suis tout prose, me voylà cunctateur. Attendons: Zulime, Mariane, Olimpie, tout cela viendra, si je vis.
Savez vous que je suis bien vieux? Le duc de Villars quoy que plus jeune est plus vieux que moy. Il a des convulsions de st Medard à le faire canoniser par les jansénistes. Il soufre héroiquement, il a dans les maux plus de courage que son père. Il y a bien des sortes de courage.
Eh bien vienne l'épouseur de Marie Corneille. Nous les marierons pour peu qu'il en ait envie.
Mais que dites vous de Luc et de son compliment au roy d'Angleterre?