1765-11-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Louis Lekain.

J'ai reçu, mon cher ami, vôtre Lettre du 24 8bre et vous devez avoir reçu à présent par Mr D'Argental, tout ce que j'ai pu faire pour Vôtre Bretonne Adélaïde.
Je ne l'ai pas actuellement sous les yeux. Les massons et les charpentiers se sont emparés de ma maison, et mes vers m'ennuient.

Je vous prie de me mander si vous êtes actuellement bien emploié à Fontainebleau, si mlle Clairon y a paru, et si elle y paraîtra, si on a joué Gertrude et ce qui plait aux dames.

Je ne peux m'imaginer que Mr le Dauphin soit en danger, puisqu'on donne continuellement des fêtes. Sa santé peut être altérée, mais ne doit point donner d'allarmes. Mandez moi, je vous prie, s'il assiste au spectacle, et s'il a vu vôtre Adélaïde; je dis vôtre, car c'est vous seul qui l'avez ressuscitée.

Adieu, je vous embrasse, et je vous prie de me dire des nouvelles, si vous avez le temps d'écrire.

V.

Comme on allait porter ma Lettre à Genêve, j'ai retrouvé quelques lambaux de cette Adélaïde que j'ai si longtemps négligée.

1º Je suppose qu'on a rayé dans vôtre copie ces quatre vers du 3e acte,

Mais bientôt abusant de ma reconnaissance
Et de ses vœux hardis écoutant l'espérance,
Il regarda mes jours, ma liberté, ma foi,
Comme un bien de conquête, et qui n'est plus à moi.

Ces quatre vers ne sont bons qu'à être oubliés.

2º Je trouve dans ce même 3e acte, à la dernière scène, ces vers dans un couplet de Coucy,

Faittes au bien public servir vôtre disgrâce.
Eh bien, raprochez les, unissez vous à moi, eta.

Ce dernier vers n'a pas de sens. Il faut que le copiste se soit trompé; il doit y avoir,

Raprochez les partis, unissez vous à moi.

Je suppose qu'à la scène 5e et dernière du 4e acte vous tombez dans un fauteuil, lorsque Coucy dit,

Il ne se connaît plus, il succombe à sa rage.

Voilà mon cher ami tout ce que je puis vous dire sur une pièce qui ne méritait pas l'honneur que vous lui avez fait.

Nous avons des pluies continuelles. Si la saison n'est pas plus belle à Fontainebleau, vos fêtes doivent être assez tristes.