[? August 1735]
Ie n'ay point reçu la 1er lettre dont v͞s me parlés, mais ie n'en suis pas moins coupable de n'auoir pas respondu plutost à la vôtre, ou plutost de ne l'auoir pas prévenuë, mais ie n'étois pas digne de v͞s escrire.
Ie passe ma vie auec des maçons, des charpentiers, des cardeurs de laine, des tailleurs de pière, ie ne pense plus, ie ne suis pas plus digne de v͞s escrire aujourd'huy, mais ie n'ay pas le pouuoir de m'en empêcher. Il faut absolument que ie v͞s dise combien ie v͞s regrette dans ma solitude et combien i'y regrette peu le reste de Paris. Si ie n'étois pas icy ie voudrois être au mont Valerien. P͞r quoi ne dites v͞s pas du moins, si ie n'étois pas au mont Valerien ie voudrois être à Cirey? Ie me garderay bien de demander la préférence sur cette montagne depuis que v͞s y aués rassemblé m͞r Argalotti et m͞r l'abé Franquini. Buués à ma santé ensemble auec mon bon ami m͞r Vencilo. Dites si elle étoit à Paris elle viendroit n͞s voir à pied, ou à cheval, par la pluie, par le soleil, mais songés v͞s que l'automne ne se passera pas auant que i'aye icy deux de vos sages? Du moins il me le font espérer, mais v͞s, v͞s ne ferés qu'un saut du mont Valerien au pôle, v͞s quitterés la grande ourse p͞r la petite ourse. V͞s ne m'aimés que quand v͞s ne me voyés point. Voltaire est icy plus votre admirateur que iamais et digne d'être votre ami. Si ie puis v͞s rassembler, ie m'estimeray bien plus heureuse que la reine Christine. Elle quitta son royaume p͞r courir après de prétendus sauans, et ce sera dans le mien que ie rassembleray ce qu'elle auroit été chercher bien plus loin qu'à Rome; v͞s saués qu'il n'i a que le premier pas qui coutte à l'amour propre. Puisque i'ay osé v͞s escrire du milieu de mes massons v͞s pouués conter sur mon éxactitude. Ne me punissés point de ma timidité, donnez moi de vos nouuelles, et soyés bien sûre que m͞e Delauraguais, m͞me de st Pier ni toutes les duchesses du monde n'auront jamais p͞r v͞s une amitié plus tendre que madame de Cirey.