Je ne crois pas mon cher philosophe qu'il y ait un plus mauvais correspondant que moy.
Je ne vous ai point répondu parce que de jour en jour je me suis flatté de partir pour la cour palatine, mais quand on a des massons et des charpentiers on n'est plus son maitre. Les moissons sont venues. Je ne sçais plus quand je pourai faire ce voiage. Si je ne pars pas, j'écrirai pour le cabinet de la manière la plus engageante que je pourai imaginer; l'envie de servir ses amis arondit le stile et échauffe le cœur. L'histoire naturelle cède pour le présent à l'histoire de la guerre. Les princes ne sont plus occupez que de la façon dont le Roy de Prusse succombera ou se tirera d'affaire. On dit qu'on a envoyé le landgrave de Hesse prisonnier à Stade. Il l'était déjà dans ses états. Ce prince était confesseur, le voylà martir. Cela est bien plus beau que d'être landgrave.
On fait à Paris la guerre des brochures. Les Palissot, les Pompignans sont un peu battus en vers et en prose. Cela amuse les badauts de Paris qui s'occupent plus de ces bagatelles que de ce qui se passe en Silésie. Le parisien trouve toujours le moyen d'être heureux au milieu des malheurs publics, et cantilenis miserias solabantur.
Adieu mon cher philosophe. Je m'imagine que vous êtes à la campagne avec les deux personnes de Berneà qui je suis le plus dévoué. Présentez leur mes tendres respects je vous en prie.
Ve
5e juillet [1760]