1765-10-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Mon ancien ami, je commence à être aussi paresseux que vous l'étiez, ou du moins à le paraître.
Je comptais de vous écrire par Mr D'Amilaville; il a heureusement pour moi différé son retour à Paris de jour en jour. Je lui donne ma Lettre; elle vous parviendra comme elle poura. Deux choses me charment dans ce mr D'Amilaville, sa raison et sa vertu. Pourquoi faut-il qu'un homme de son mérite languisse dans la perception du vingtième? Voilà un métier bien indigne de lui.

Mlle Clairon va jouer à Fontainebleau, mais y aura t-il un Fontainebleau? On dit que l'indisposition de Mgr le Dauphin dérange ce voiage. Nous aurest pauvres laboureurs du pied des alpes, nous savons mal les nouvelles de la cour, et nous nous contentons de dire dans nos chaumières sanitatem regi da, et sanitatem filio regis.

Je ne connais plus du tout cette Adélaïde dont vous me dites tant de bien. Il y a trente ans que je l'ai oubliée. Il plut alors au public de la condamner; il plait au public aujourd'hui de l'aplaudir, et il me plait à moi de rire de ces inconstances. J'ai prié qu'on m'envoiât une copie de cette pièce, car je veux juger aussi à mon tour.

J'ai icy un jeune Dragon nommé mr De Pezay qui fait des vers tout pleins d'esprit et d'images. Il m'en a apporté de son ami mr D'Aurat avec qui il loge à Paris; ce mr D'Aurat en fait aussi de charmants, celà regaillardit ma vieillesse que mr D'Amilaville soutient par sa philosophie. Je me trouve entre la raison et les grâces; vous ne seriez pas de trop assurément dans cette bonne compagnie là.

Quand il y aura quelque chose qui sera digne que vous en parliez, je vous prie de ne me pas oublier, et surtout de me dire comment vôtre santé se trouve des approches de l'hiver.

Avez vous fait le mariage dont vous me parliez? Je vous embrasse du meilleur de mon cœur,

V.