28 novemb. [1762]
Je vous remercie, mon cher frère, de l'ouvrage odieux que je vous avais demandé, et dont j'ai reçu le premier volume.
Je ne l'avais parcouru autrefois qu'avec mépris, je ne le lis aujourd'hui qu'avec horreur. Ce scélérat hypocrite appelle dans sa préface la tolérance, système monstrueux. Je ne connais de monstrueux que le livre de ce misérable, et sa conduite digne de son livre. Notre frère Thiriot l'a vu autrefois maquereau chez Laugeois; je l'ai vu depuis secrétaire d'un athée, et il a fini par être l'avocat bavard de la superstition. On m'a dit que son détestable livre avait du crédit en Sorbonne: c'est de quoi je ne suis pas surpris. Je me flatte au moins que ceux de mes frères qui travaillent à éclairer le genre humain dans l'Encyclopédie, nous donneront des antidotes contre tous les poisons assoupissants que tant de charlatans ne cessent de nous présenter. J'achèverai ma vie dans la douce espérance qu'un jour un de nos dignes frères écrasera l'hydre: c'est le plus grand service qu'il puisse rendre au genre humain. Tous les êtres pensants le béniront.
Continuez, mon cher frère, à égayer la tristesse de votre emploi, et à vous soutenir par la solidité de la philosophie.
Quoique je ne m'intéresse guère aux choses de ce monde, je serais pourtant curieux de savoir ce qu'est devenu le procès criminel du sr Bigot. On disait que le peuple aurait la consolation de voir pendre un intendant, mais je n'en crois rien.a Je demande aussi des nouvelles de l'Irlandais Lalli qui s'avisa, il y a environ dix-huit mois, de faire pendre le fils du premier conseiller de Pondichéri, mon ancien camarade de collège, parce que ce jeune homme ne s'était pas rangé assez tôt devant son éléphant, ou devant son palanquin.
Il me paraît que frère Tiriot a renoncé à la philosophie active. Il a raison de faire grand cas du dîner et du dormir; ce sont deux fort bonnes choses; mais il faut trouver à son réveil quelques quarts d'heure pour ses amis.
J'envoie à Esculape Tronchin le mémoire à consulter. Mais songez que j'ai chez moi un parent de 21 ans auquel Esculape fit ouvrir la cuisse il y a deux ans, et qui suppure depuis ce temps là sans pouvoir se remuer. Il est difficile de guérir de loin quand on estropie de près. Tronchin est assurément un grand médecin, mais la médecine est souvent bien dangereuse.
Voulez vous bien faire parvenir ces deux saintes épîtres à nos frères d'Alembert et Saurin? J'embrasse en Platon, en Diagoras notre grand frère Diderot.