à Colmar 11 novbre [1753]
Mon ancien ami, madame Denis m'aprit il y a quelque temps vos idées charmantes et les obstacles qu'elles trouvent.
Vous sentez à quel point je dois être reconnaissant et affligé. Je comptais venir oublier Denis de Siracuse dans la retraitte de Platon, la destinée s'est acharnée à en ordonner autrement. Vous auriez tout deux ranimé mon goust qui se rouille et mon peu de génie qui s'éteint. Vous auriez fait de jolis vers et j'en aurais fait de tristes, que vous auriez éguaiez. Votre vallée de Tempé eût bien mieux valu que L'Olimpe sabloneux où le diable m'avait transporté. Mais tout cela n'est qu'un agréable songe. Il faut se soumettre à son destin. Des maladies plus cruelles encor que les rois me persécutent. Il ne me manque que des médecins pour m'achever, mais dieu mercy je ne les vois que pour le plaisir de la conversation quand ils ont de l'esprit, précisément comme je voi des théologiens sans croire ny aux uns ny aux autres.
On dit mon ancien amy que votre campagne est charmante, mais vous en faittes le plus grand agrément. Je ne me console pas de n'y pouvoir aller. Ne viendrez vous point à Paris cet hiver? Probablement la querelle des billets de confession y sera assoupie. Ces maladies épidémiques ne durent guères qu'une année. Je ne sçai ce qu'est devenu Formont… tout se disperse dans le grand tourbillon de ce monde. Si les êtres pensans étaient libres, ils se rassembleraient, mais ô liberté, vous êtes de touttes façons une belle chimère.
Adieu mon cher et ancien ami.
Je mets au lieu de ce mot, amicitia.
V.