1742-11-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je vous avoue que je suis aussi fâché que vous de voir qu'on tienne si mal une promesse si positive.
Nous en raisonnerons à loisir à Paris où j'espère vous voir avant la fin du mois.

Satisfait sans fortune et sage en vos plaisirs.

Je voudrois bien voir cette sagesse un peu plus à son aize, mais vous êtes plus sage qu'on n'est libéral. On ne m'écrira que lorsque je serai à Paris. Ainsi jusques là je n'ay rien de nouvau à vous dire. J'attends pour cet hiver la paix et votre pension. J'ay vu les meurtriers anglais et les meurtriers hessois et hanovriens, ce sont de très belles trouppes à renvoyer dans leur pays.

Dieu les y conduise, et moy à Paris par le plus court. Les maudits houzards ont pris tout le petit équipage de mon pauvre neveu Denis, qui se tue le corps et l'âme en Boheme, et qui est malade à force de bien servir. Pour surcroit de disgrâce on luy a saisi icy deux baux chevaux qu'il envoioit à sa femme et je n'ay pu les retirer des mains des commis, gens maudits de dieu dans l'évangile et plus dangereux que les houssards. Vous voyez que dans ce monde vous n'êtes pas le seul à plaindre. Madame du Chastellet essuie tous les tours de la chicanne, et moy tous ceux des imprimeurs.

Durum! sed levius fit patientia
quidquid corrigere est néfas.

Quiconque est au coin de son feu, et qui songe en soupant qu'en Boheme on manque souvent de pain doit se trouver heureux.

Je vous embrasse, comptez toujours sur mon amitié.

V.