28 septb[1763]
J'aprends que Platon est revenu de chez Denis de Siracuse.
Ce n'est pas que je vous croye au dessus de Platon, et l'autre au dessus de Denis, mais les vieux noms font un merveilleux effet. Vous avez par devers vous deux traits de philosophie dont nul grec n'a approché. Vous avez refusé une présidence et un grand gouvernement. Tous les gens de lettres doivent vous montrer au doigt comme un homme qui leur aprend à vivre.
Pour moy, mon illustre et incomparable voiageur, je ne vous pardonerai jamais de n'être pas revenu par Geneve. Vous dédaignez les petits triomphes. Vous auriez été bien content de voir l'acomplissement de vos prédictions. Il n'y a plus dans la ville de Calvin que quelques gredins qui croient au consubstantiel. On pense ouvertement comme à Londres. Ce que vous savez est bafoué. Il n'y a pas longtemps qu'un pauvre ministre de village préchant devant quelques citoiens qui ont des maisons de campagne, un de ces messieurs le fit taire. Vous m'ennuiez, luy dit il, allons dîner. Il fit sortir de l'église toutte l'honorable compagnie. Jean Jaques il est vray a été condamné mais c'est parce que dans un petit livret intitulé contract social, il avait trop pris le parti du peuple contre le magistrat. Aussi le peuple très reconnaissant a pris à son tour le parti de Jean Jaques. Sept cent citoiens sont allez deux à deux en procession protester contre les juges. Ils ont fait quatre remontrances. Ils soutiennent que Jean Jaques était en droit de dire tout ce qu'il voulait contre la relligion crétienne, qu'il fallait conférer amicalement avec luy et non pas le condamner. Vous aurez dans quelques mois le plaisir d'apprendre qu'on aura destitué quatre sindics pour avoir jugé Jean Jacques. Quand destituera t'on Omer? Les Français arrivent tard à tout.
Il m'est revenu qu'on vend dans votre ville de Paris une petite brochure dévote intitulée le catéchisme de l'honnête homme. Je crois que frère Damilaville en a un exemplaire. Je vous exhorte à vous en procurer quelques uns. C'est un ouvrage, dit on, qui fait beaucoup de bien. Il faut que ce soit le curé du vicaire savoiard qui en soit l'autheur.
J'ay toujours peur que vous ne soyez pas assez zélé. Vous enfouissez vos talents. Vous vous contentez de mépriser un monstre qu'il faut abhorrer et détruire. Que vous coûterait il de l'écraser en quatre pages, en ayant la modestie de lui laisser ignorer qu'il meurt de votre main? C'est à Melæagre à tuer le sanglier. Lancez la flèche sans montrer la main. Faittes moy quelque jour ce petit plaisir. Consolez moy dans ma vieillesse.
Savez vous bien que j'ay chez moy un jésuite pour aumônier? Je vous prie de le dire à frère Bertier quand vous irez à Versailles. Il est vrai que je ne l'ay pris qu'après m'être bien assuré de sa foy.
Je vous embrasse très tendrement mon cher philosophe.
Ecrasez l'infâme.