Colmar 4 décembre [1753]
J'ay vu mr le baron d'Artad, madame.
Tout ce qui vous apartient me paraît bien aimable et redouble le tendre intérest que j'ay pris si longtemps à tant de malheurs. made la première présidente daigna venir voir le pauvre gouteux avant de partir pour Paris. Je vous dois les bontez dont votre respectable famille m'honore. Mais pourquoy faut il que je sois loin de vous! Les maux me clouent à Colmar, et la goutte est encor un surcroît de mes souffrances sans en avoir diminué aucune.
Il n'y a que les sentiments qui m'attachent à vous qui puissent me donner la force d'écrire.
Remerciez bien, madame, la nature et votre sagesse qui vous ont conservé la santé. Quand les maladies se joignent aux maux de l'âme, quelle ressource reste t'il? La vie alors n'est qu'une longue mort, et combien de gens sont dans cet état! On ne les voit point parce que les malheureux se cachent. Ceux qui sont dans l'âge des illusions se montrent, et font la foule en attendant que leur tour vienne de passer et de disparaitre. Les moments heureux que j'ay passéz dans votre solitude ne reviendront ils point? Conservez moy du moins votre souvenir. Je présente le même placet à votre amie. Je ne sçais aucune nouvelle. J'ay renoncé à tout, hors à vous être bien tendrement attaché.
V.