6e august 1764 à Ferney
Vous êtes plus jeune que moi, Madame, puisque vous faites des voiages, et moi si j'en faisais ce ne serait que pour venir vous voir.
Vous avez de la santé, et vous la méritez par une sobriété constante, et par une vie uniforme. Je ne suis pas si sage que vous, aussi j'en suis bien puni. Je regrête comme vous, Made De Pompadour, et je suis bien sûr qu'elle ne sera jamais remplacée. Elle aimait à rendre service et était en état d'en rendre; mais mon intérêt n'entre pour rien dans les regrêts que je donne à sa perte, aiant renoncé à tout, n'aiant rien à demander, je n'écoute que mon cœur, et je pleure vôtre amie sans aucun retour sur moi même.
Si vous êtes à Colmar, Madame, je vous prie de faire souvenir de moi Mr le premier Président vôtre frère. Je serai peut être obligé, malgré ma mauvaise santé et ma faiblesse, de faire un tour dans vôtre Alzace pour quelques arrangements que j'ai à prendre avec Mr le Duc de Virtemberg; mais alors il ne sera que le prétexte, et vous serez la véritable raison de mon voiage. Vous ne sauriez croire quel plaisir j'aurois à m'entretenir avec vous. Nous parlerions du moins du passé pour nous consoler du présent. C'est la ressource des anciens amis. Regardons l'avenir en philosophes, jouïssons avec tranquilité du peu de temps qui nous reste. Puissai-je venir philosopher avec tous au Jar, je ne vous y dirais jamais assez combien je vous suis attaché;je croirais renaître en vous faisant ma cour. Je maudis mille fois l'éloignement des alpes au Rhin. Adieu, Madame, portez vous bien et conservez moi des bontés qui font la consolation de ma vie.
V.