1764-11-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence.

Je vois, mon cher philosophe, que vous avez perdu un adepte qui sera difficile à remplacer. Ce que vous me mandez de lui et le petit billet qu'il écrivit avant sa mort, me donnent bien des regrêts. On dit que vous avez aussi perdu Mr vôtre père. Il était d'un âge à ne devoir s'attendre à vivre plus longtemps. Il n'aura pas sans doute écrit un billet semblable à celui de vôtre ami. Les choses se tournent bien différemment dans les têtes des hommes; il y a l'infini entre celui qui a lu avec fruit, et celui qui n'a rien lu. Le premier foule à ses pieds les préjugés, et le second en est la victime. Songez à rétablir votre santé. Pour peu que vous joigniez la sobriété à vos autres mérites, vous n'aurez pas plus besoin des médecins du corps que de ceux de l'âme. Je vous embrasse de tout mon cœur, je vous serai attaché pour le reste de ma vie qui ne peut être bien longue.