1766-03-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claire Josèphe Hippolyte Léris de Latude.

Vous allez être un peu surprise, Mademoiselle.
Je vous demande une Cure. Vous allez croire que c'est la Cure de quelque malade pour qui je vous prierais de parler à Mr Tronchin, ou la cure de quelque esprit faible que je recommanderais à vôtre philosophie, ou la cure de quelque pauvre amant à qui vos talents et vos grâces auraient tourné la tête. Rien de tout celà, c'est une cure de paroisse. Un drôle de corps de prêtre du païs de Henri 4, nommé Doleac, demeurant à Paris sur la paroisse Ste Marguerite, meurt d'envie d'être curé du village de Cazau. Mr De Villepinte donne ce bénéfice. Le prêtre a cru que j'avais du crédit auprès de vous, et que vous en aviez bien d'avantage auprès de Mr de Villepinte. Si tout celà est vrai donnez vous le plaisir de nommer un curé au pied des Pirénées à la requête d'un homme qui vous en prie au pied des Alpes. Souvenez vous que Moliere, l'ennemi des médecins, obtint de Louis 14 un canonicat pour le fils d'un médecin.

Les Curés qui ont pris la Liberté de noux excommunier, nous canoniseront quand ils sauront que c'est vous qui donnez des Cures. Je voudrais que vous disposassiez de celle de St Sulpice.

Je ne sais pas quand vous remonterez sur le jubé de vôtre paroisse. Vous devriez choisir pour vôtre premier rôle celui de lire au public la déclaration du roy en faveur des beaux arts contre les sots. C'est à vous qu'il appartient de la lire.

Adieu, Mademoiselle, je vous suplie de vouloir faire souvenir de moi vos amis, et surtout d'être bien persuadée qu'il n'y en a aucun de plus sensible que moi à tous vos différents mérites; je vous serai attaché toute ma vie, soit que vous donniez des bénéfices à des prêtres, soit que vous les corrigiez de leur impertinence, soit que vous les méprisiez.

V. t.