16e 9bre 1764
Il me parait, Madame, que vous avez un curé digne de vous; c'est vous, sans doute, qui nommez à la cure; c'est l'homme du monde, dont après vous, j'ambitione plus le suffrage. Mr Dubut ou Desbuttes, car je ne sais pas précisément son nom, le remercie bien fort de ses cerisiers. Il est bien vieux, ce mr Desbuttes, mais s'il a le bonheur de manger des cerises de vôtre curé, il en jettera les noyaux au nez des superstitieux et de fanatiques, qui, je crois, n'approchent jamais de vôtre paroisse.
Je vois que tous les climats se ressemblent, quoi que les esprits ne se ressemblent pas. Si vous avez froid nous sommes gelés; si vous avez un pouce de neige nous en avons deux pieds; si vous perdez quelques uns de vos poulets tous les nôtres meurent; mais vous avez des Frérons, des Pompignans, un journal chrétien, et nous n'avons rien de tout celà. Vous vivez, Madame, dans vôtre belle retraitte avec vos philosophes; moquez vous des sottises de toutes les espèces; que ne puis-je en rire avec vous? mais il n'y a pas moien de rire quand on souffre tant de vôtre absence.
Je crois comme vous, Madame, que la scène française expire aux pieds de l'opéra comique; il n'y a que les femmes qui la soutiennent, comme il n'y a qu'elles qui fassent les agréments de la société. Les hommes sont pitoiables au théâtre, et je ne sais s'ils valent beaucoup mieux ailleurs.
Je ne peux avoir l'honneur de vous écrire et de vous remercier de ma main; je redeviens toujours aveugle avec les neiges, je crois que je suis le premier qui ait éprouvé un aveuglement périodique. Il n'en est pas de même de mes sentiments. Mon estime et mon tendre respect pour vous ne souffrent jamais d'altération.