1768-11-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à George Colman.

Si je pouvais écrire de ma main, Monsieur, je prendrais la liberté de vous remercier en anglais du présent que vous me faittes de vos charmantes comédies; et si j'étais jeune je viendrais les voir jouer à Londres.

Vous avez furieusement embelli l'Ecossaise que vous avez donnée sous le nom de Fréeport, qui est en effet le meilleur personnage de la pièce. Vous avez fait ce que je n'ai osé faire, vous punissez vôtre Fréron à la fin de la comédie. J'avais quelque répugnance à faire paraître plus longtems ce polisson sur le théâtre; mais vous êtes un meilleur sherif que moi, vous voulez que justice soit rendue; et vous avez raison.

Lorsque je m'amusai à composer cette petite Comédie pour la faire représenter sur mon théâtre à Ferney, nôtre société d'acteurs et d'actrices, me conseilla de mettre ce Fréron sur la scène, comme un personnage dont il n'y avait point encor d'exemple. Je ne le connais point, je ne l'ai jamais vu, mais on m'a dit que je l'avais peint trait pour trait.

Lorsqu'on joua depuis cette pièce à Paris, ce croquant était à la première représentation; il fut reconnu dès les premières lignes; on ne cessa de battre des mains, de le huer, et de le bafouer; et tout le public à la fin de la pièce le reconduisit hors de la salle avec des éclats de rire. Il a eu l'avantage d'être joué et berné sur tous les théâtres de l'Europe depuis Petersbourg jusqu'à Bruxelles. Il est bon de nettoier quelquefois le temple des muses de ces araignées. Il me parait que vous avez aussi vos Frérons à Londres; mais ils ne sont pas si plats que les nôtres.

Continuez, Monsieur, à enrichir le public de vos très agréables ouvrages. J'ai l'honneur d'être avec toute l'estime que vous méritez

Monsieur,

Vôtre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire gentilhomme orde de la chambre du Roy