ce 9 juillet [1768] de Paris
Votre lettre Monsieur me prouve que vous avez conservé un peu d'amitié pour moi.
J'y aurais répondu sur le champ si ma santé me l'avait permis. J'ai eu de grands maux de rhins qui ne me permettaient pas d'écrire. Cela vient du foie opstrué qui demende des remèdes longs. J'espère que je m'en tirerai.
Je vous attands au mois d'Octobre avec grand impassience. Quel que plaisir que j'aie à vous voir j'en aurais encor davantage à pouvoir vous le dire à Fernex. Je ne sçai quand j'y retournerai. La solitude du patron me fait frémir. Personne ne le connais mieux que moi. Il a beau dire il n'est point fait pour mener une pareille vie et s'il voiage ce sera encor pire. Cet homme malgré toutes ses effervessences m'intéresse toujours. Je le pleins. Il est le seul à pleindre. Si je n'étais pas née avec un coeur sensible et reconnoissant je serais parfaitement heureuse. On m'a revu avec plaisir dans ma patrie. J'i ai retrouvé beaucoup d'amis, une famille nombreuse qui a fort envie de me guarder. Mon frère que j'ai toujours aimé et qui désire passionément de demeurer avec moi. Mais je ne jouis point de tous ses avantages, j'ai toujours Fernex sur le bout du nés. Je vous avoue qu'il y a trente ans que je reguarde Mr de V. comme mon père. Nous n'avons point à nous plaindre l'un de l'autre. Je lui ai de grandes obbligations, j'ai fait toute ma vie tout ce qui était en moi pour tâcher de le rendre heureux et au moment que son âge exige plus de soins nous nous séparons sans savoir pour quoi. Cette idée empoisonera le reste de ma vie. Cependand je ne sçaurais croire qu'il persiste dans l'idée de vivre toujours abbandonné. C'est une fantesie qui passera peutêtre. Je suis toujours à son service et au moindre signe qu'il me donnera je me rendrai auprès de lui.
Si en causant avec lui monsieur vous pouvez découvrir ce qu'il pense et même lui dire un petit mot je vous en serai très obbligée. Vous savez la Confience que vous m'avez inspiré, je serais fort aise de vous devoir une réunion si nécessaire. Vous êtes négociateur. Je sens que cet emploi n'est pas facile avec le patron, il commensera par vous dire tout ce qu'il ne pense point. Dites lui que je ne me suis point ouverte avec vous mais que l'on sent dans toutes mes lettres que je suis affligée d'être loin de lui. Le grand point serait de deviner ce qu'il pense, cela serait d'autant plus admirable que peut être ne le sçait il pas lui même. Son esprit est si vif et si turbulant qu'il ne sçait ce qu'il veut, mais il ne faut pas s'en pleindre, c'est peut être à cela que nous devons toutes les belles choses qu'il faites.
Adieu Monsieur, j'ai eu l'honneur de voir Monsieur votre frère à Versailles. J'avais envie d'aller chez tous vos parens, mais je me trouvai incomodée et je fus obbligée de repartir sur le champ. Ne doutez pas des sentimens avec les quels j'aurai l'honneur d'être toute ma vie Monsieur Votre très humble et très obbéissente servante
Denis
Mme Dupuits et mes deux gros conseillers vous font mille complimens.