A Ferney, 26 avril 1768
Plût à dieu, mon cher ami, que je fusse en état d'aller vers le pôle arctique dans ma soixante-quinzième année! Je ne ferais pas assurément le voyage, mais je ne serais pas fâché d'être en état de le faire.
Vous verrez peut-être bientôt un petit poème intitulé la Guerre de Genève, dans laquelle il est dit que la renommée porte trois cornets à bouquin: l'un pour le vrai, que personne n'entend; l'autre pour l'incertain; et le troisième pour le faux, que tout le monde répète. J'apprends que m. de Klinglin s'est retiré; je vous prie de lui présenter mes respects; je lui souhaite ainsi qu'à madame de Klinglin la vie la plus longue et la plus heureuse.
J'ai toujours avec moi votre ancien camarade Adam. Madame Denis est allée à Paris pour des affaires qui l'y retiendront probablement un an ou deux. L'agriculture et les lettres partagent ma vie; j'ai auprès de moi un avocat philosophe; ils le sont presque tous aujourd'hui. Il s'est fait une furieuse révolution dans les esprits depuis une quinzaine d'années; les prêtres obéiront à la fin aux lois comme les chétifs seigneurs de paroisse: je me flatte que mons. de Porentru n'est pas despotique dans la haute Alsace.
Adieu, mon cher ami, je vous embrasse bien tendrement.
V.