à Paris ce 13 Mars [1768]
Mon cher et illustre ami, j'ai reçu coup sur coup vos deux lettres, & je me hâte de vous témoigner toute la part que je prends à votre peine.
Je sens combien vous devez être affecté dans les circonstances présentes de l'imprudence de la Harpe, et des effets qui en peuvent résulter. Je vois que ce jeune homme a commis trois fautes très graves; la première de vous avoir pris des papiers sans vous demander si vous le trouviez bon; la seconde de vous avoir caché qu'il en avoit donné des copies sans votre permission, et de vous avoir fait des mensonges à ce sujet; la troisième, et peut être la plus grave, c'est la lettre dont vous vous plaignez, écrite de sa chambre à la vôtre, lorsqu'il avoit un moyen facile de vous désarmer en vous avouant tout, et en vous demandant pardon comme il le devoit. Je vous avoue que ses torts me refroidissent beaucoup à son égard, d'autant plus que c'étoit principalement par rapport à vous que je prenois intérêt à lui. Je lui en ai déjà parlé, je lui en parlerai plus sérieusement encore, et je lui dirai ce qui est vrai, qu'il est perdu sans ressources s'il ne fait pour regagner votre amitié autant qu'il a fait pour la perdre.
Je sais, mon cher maitre, quoique vous ne m'en disiez rien, que vous avez d'autres sujets de chagrin, et plus considérables; j'ai été chercher made Denis sans la trouver, je compte la voir peut être aujourd'hui, et lui parler à fond de vous et de l'intérêt que j'y prends. Je ne vous en dis pas davantage, étant trop affecté du peu que je sais pour vous dire ce que j'en pense. Je ne vous parle point non plus du livre d'Abauzit. Il m'est impossible, quand je vous sais affligé, de m'occuper de billevésées Théologiques. Si je n'étois pas retenu à Paris par mon peu de santé d'une part, et de l'autre par le directorat de l'académie des sciences dont on m'a affublé cette année, et par un ouvrage de mathématique que je suis forcé de faire imprimer sous mes yeux, j'irois causer avec vous, et vous procurer toutes les consolations que mon attachement pourroit me suggérer.
Adieu, mon cher maitre, vous aurez encore incessamment de mes nouvelles. Donnez moi des vôtres le plus que vous pourrez; car je ne m'y suis jamais tant intéressé, & c'est assurément beaucoup dire.