Lausanne ce 22 8bre 1767
J'ai lû, Monsieur, avec une vraie satisfaction votre ouvrage sur les dissentions Politiques & Religieuses de la Pologne.
Vous y établissés très bien le Droit que Les Dissidens ont aquis de la Nature et qui leur a été sollemnellement juré et garanti par divers Traités. Les vexations de leurs Frères Catholiques sont également injustes et cruelles. Assurément Monsieur l'honnête liberté, la partie souffrante du Genre humain, la Nation Polonaise en particulier vous ont de très grandes obligations, puisque si vos principes étoient suivis, elle jouiroit d'un calme profond, et tout l'univers avec Elle. Je ne crois pas, Monsieur, que cet ouvrage soit sans influence pour l'Impératrice même de Russie; cette Princesse qui met tant de grandeur dans ses vües, et qui n'obmet rien de tout ce qui étoit propre à dissiper les nuages qui pouvoient obscurcir sa Gloire. En montrant la Justice de ses desseins et la modération de sa conduite, vous appuiés son armée, comme son armée appuye la juste cause que vous deffendés.
Mais Monsieur, tandis que vous volés au secours des Etrangers qui souffrent de l'intolérance, et de tous les Etats qu'elle trouble et qu'elle dépeuple, ce barbare entousiasme continue à déchirer votre Patrie, et se reproduit icy et là comme les têtes de l'hydre, ou commes les accès impétueux de la fièvre. Voici ce que nous en apprenons par une lettre du 6 de ce mois.
Une assemblée de Protestans s'étant formée à 2 lieuës de Bourdeaux, et le Ministre se faisant attendre, un ancien monte en chaire pour lire quelques châpitres du N. Testament. Comme il étoit occupé à cette lecture, pour le moins très innocente, et dans les deux communions reconnue pour religieuse, des soldats y entrent en armes, saisissent toute l'assemblée, et par une procédure, sans doute bien précipitée, le pauvre Lecteur sans caractère est condanné à la Corde, le Maitre de la Maison aux galères, et tous les auditeurs à un banissement de cinq ans, et à la confiscation de la moitié de leurs biens. On ne marque si l'arrêt est parlementaire, et s'il a été exécuté. D'un autre côté le simple soubçon que les masqués de Sainte Foyétaient Protestans, puisqu'ils en vouloient à un curé, a fait arrêter 80 personnes innocentes dont plusieurs sont de condition et qui gémissent dans les prisons. D'ailleurs les enlèvements des Enfans à leurs familles, continuent en divers lieus. Où est donc Mon cher Monsieur la sage et humaine tolérance dont il semblait que le Ministère eût adopté le systhème? ne voulait on que leurer les Peuples d'une vaine lueur d'espérance? et se flatoit on d'arrêter par là les émigrations? En vérité, l'on n'y conçoit rien; tandis qu'on parle de paix d'un Côté, on ne cesse d'affliger de l'autre. La conduite de mr le Prince de Beauvau et celle de Mr le Duc de Richelieu ne sont pas aisées à concilier.
Ne pouriés vous point Monsieur faire connaître à Mr le Duc de Choiseuil les inconvéniens de ces nouvelles allarmes pour le sage but qu'il se propose? Se pourait-il qu'on suivît en cela ses intentions et la volonté du Roy? S'il y a quelqu'intervention à placer dans ces circonstances, personne ne pourra le faire mieux que vous, avec plus d'énergie et de succès. Ne vous rebuttés point, Monsr d'attaquer, ou plutôt de guérir cette maladie funeste: mais j'ai bien peur qu'elle ne soit incurable, le clergé est trop puissant. Soyés sûr cependt Monsr que tant qu'on ne se décidera que foiblement et par partie, sans donner un Edit fixe et irrévocable, et par cet Edit la liberté du culte public, on ne gagnera point les cœurs et l'on perdra beaucoup de sjets.
Agrées la continuation du respectueux dévoument de
Monsieur
Votre très humble et obéïssant serviteur.
Seigneux de Correvon