à Gotha ce 10 d'Août 1767
Vous ayant déjà dis Monsieur dans ma précédente lettre tout ce que je pensois sur cette misérable avanture de la Beaumelle, il me semble que de ma part, il ne me reste rien à ajouter, que de Vous conjurer d'abandoner, et l'affaire, et le procès, et le pauvre avanturier à leur triste sort.
Vous ête si infiniment audessus de cet home, que c'est réelement Vous abaisser que de Vous disputer avec lui. Quand Vous deffendés Monsieur les Calas, les Sirvens, Vous honorés, et secourés l'humanité: quand Vous prêchés la tolérance, et attaqés le fanatisme, Vous éclairés le monde, et lui rendés service: quand Vous Vous moqués des ridicules des pauvres mortels, Vous les corigés encor, en les égayants. Toutes ces ocupations, toutes ces actions, mon cher Ami, sont dignes de Votre grande et belle Ame. Mais de Vous chamailler avec un extravagant, dont l'aventure est folle, et non criminelle, c'est Vous ravir un tems prétieu, qui ne revient plus, et que d'ailleur Vous employés si bien. Pardonés à ma franchise, mais plus je Vous admire, et Vous chéris, et plus aussi je me crois en droit de Vous dire tout ce que je pense. La vérité, et l'amitié exigent égallement cet aveu de mon coeur. Recevés le avec Votre bonté ordinaire, et soyés persuadés Monsieur que l'assurence de ma parfaite estime, de l'intérêt intime que je prens à Votre persone est aussi vrai, est aussi sincère que tout ce qui précède, et que je suis inviolablement et avec ardeur et Votre amie et Votre servante
Louise Dorothee DdS