A Bruxelles le 20 7bre 1741
L'extrême intérêt que je prens à ce qui regarde Monsieur de Voltaire, Monsieur, et mon estime pour vous me font regarder comme une circonstance très heureuse que les papiers de Monsr.
Rousseau soient tombés entre vos mains. Je suis persuadée que la probité la plus exacte règlera l'usage que vous en ferés, et je veux me flatter que vous conterez pour quelque chose l'intérêt que je prens à quelques uns.
J'ai montré à Monsr. de Voltaire vôtre lettre du 15e de ce mois. Il est bien reconnoissant des sentimens que Vous m'y témoignés pour lui, il est très disposé à Vous écrire la Lettre que vous désirés, persuadé que Vous n'exigerez point trop de Lui, et que vous sentirez Vous même que c'est une démarche délicate et qui demande des mênagemens. Ayés la bonté de me mander si vous ne comtés pas rétrancher de Vôtre Edition tout ce qui étoit contre lui dans les précédentes, àfin d'effacer toutes les traces d'une querelle qui doit être à jamais oubliée. Mr de Voltaire ôtera de son côté de l'édition de ses ouvrages que l'on fait actuellement tout ce qui regarde Monsr. Rousseau, et vous en assurera par une lettre dans laquelle il vous marquera ses véritables sentimens, qui sont l'amour de la paix, entre les gens de lettres, et l'estime qu'il fait des bons Ouvrages de Monsr. Rousseau, et du talent qu'il avoit pour la poésie. Mais il faudroit une ocasion pour Vous écrire. Ne pourriés vous point lui envoïer un programme, et en répondant à cette attention de vôtre part, il Vous écriroit la Lettre dont je viens de vous marquer à peu près le canevas. J'espère que moïennant cela non seulement aucune nouvelle querelle ne voudra troubler la paix dont nous jouïssons ici, mais que les anciennes seront oubliées. C'est une action digne de Vous, et qui contribuera infiniment au repos de ma vie. En vérité il y auroit de la malice à nous en priver ici, car c'est le seul bien dont on y joüisse. Venons à ce qui regarde feu mon père. Je vous avoue, que je serois fâchée de voir les lettres imprimées, on n'écrit point des lettres avec assés de soin pour qu'elles soient dignes du public, et je vous avoüe que je désirerois du moins, que vous eussiez la bonté de me les communiquer auparavant en cas que vous ayés le dessein d'en faire imprimer quelques unes. Les loix de la société ne permettent guères que l'on imprime les lettres des particuliers, et si quelque chose peut rassurer sur cela, c'est qu'une Edition donnée par Vous n'offensera probablement personne, mais vous sentés bien que dans une correspondance très longue mon père a pû écrire bien des choses qui ne sont pas faites pour le public, et vous croïés bien que sa réputation m'est chère; ainsi je me flatte que Vous voudrés bien me communiquer celles dont vous voudrez faire usage.
J'attendrai votre réponse avec impatience, je me trouverai bien heureuse si je puis contribuer à une paix si désirable, ce sera une obligation bien sensible que je vous aurai, et ce sera avec un plaisir infini que je joindrai ce sentiment à tous ceux avec lesquels je suis, Monsieur, Votre très humble et très obéissante servante
Breteuil du Chatellet