Si je ne me suis pas adressé directement à vous, Monsieur, au sujet de l'article de l'Infortuné Général Donat, ç'a été par discrétion, ne voulant ni vous gêner, ni vous témoigner la plus légère déffiance sur un point que votre humanité m'avait accordé.
C'est un simple pro memoria; car enfin on obmet quelquefois par oubli des choses même que l'on a à Cœur; et je ne puis douter un moment que vous ne vous intéressiés pour la vertu malheureuse, et que vous n'eussiés à cœur de la venger de l'ingratitude cruelle dont elle a été souvent victime. Il falait une plume comme la vôtre pour la réhabiliter.
La question que vous m'avés fait quelquefois Monsieur, Pourquoi l'homme libre va t-il servir des Tyrans? prouve combien il est difficile de bien user de sa liberté. Les souverains croient l'affermir en aguérissant leurs sujets; et les sujets, du moins les trois quarts et demi la sacrifient à l'espérance plus qu'incertaine d'une fortune. Quoique la Suisse soit populeuse, les Petits Cantons sont presque les seuls qui puissent soutenir cette Epidémie, parce qls ne connaissent pas d'autres genres d'émigrations qui doublent nos pertes. Voilà comme je pense, nonobstant que j'aye eu plusieurs Parens généraux ou collonels, et que mes deux neveux soient capitaines dés quelques années: mais quel remède à opposer dans un pays libre à l'abus même de la liberté? Agrées Monsieur la continuation de mes vœux et du respect avec lequel Je serai toujours
Monsieur
Votre très humble et très obeÿst serviteur
Seigneux de Correvon
Lausanne le 19 Juin 1768