1767-08-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Marmontel.

Mon cher confrère, vous savez sans doute que ce malheureux Cogé a fait une seconde édition de son libelle contre vous, et qu'il y a mis une nouvelle dose de poison.
Ne croiez pas que ce soit la rage du fanatisme qui arme ces coquins là, ce n'est que la rage de nuïre, et la folle espérance de se faire une réputation en attaquant ceux qui en ont. La démence de ce malheureux a été portée au point qu'il a osé compromettre le nom du Roi dans une de ses notes page 96. Il dit dans cette note, que vous répandez le Déisme, que vous habillez Belizaire des haillons des déistes;que les jeunes empoisonneurs et blasphémateurs de Picardie condamnés au feu l'année dernière, ont avoué que c'étaient de pareilles lectures qui les avaient portés aux horreurs dont ils étaient coupables, que le jour que Messrs le président Hainaut, Capronier et Le Beau durent l'honneur de présenter au Roi les deux derniers volumes de l'académie des belles Lettres, S: M: témoigna la plus grande indignation contre mr De V. etca.

Vous saurez, mon cher confrère, que j'ai les lettres de mr le président Hainaut et de mr Caperonier, qui donnent un démenti formel à ce maraut. Il a osé prostituer le nom du Roi pour calomnier les membres d'une académie qui est sous la protection immédiate de S: M:

De quelque crédit que le fanatisme se vante aujourd'hui, je doute qu'il puisse se soutenir contre la vérité qui l'écrase, et contre l'oprobre dont il se couvre lui même.

Vous savez que Cogé, secrétaire de Riballier, vous prodigue dans sa nouvelle édition édition le tître de Séditieux; mais vous devez savoir aussi que vôtre séditieux Bélizaire vient d'être traduit en Russe sous les yeux de l'Impératrice de Russie. C'est elle même qui me fait l'honneur de me le mander. Il est aussi traduit en anglais et en suedois. Cela est triste pour maître Riballier.

On s'est trop réjouï de la destruction des jésuites. Je savais bien que les jansénistes prendraient la place vacante. On nous a délivré des renards et on nous a livrés aux loups. Si j'étais à Paris mon avis serait que l'académie demandât justice au Roi. Elle mettrait à ses pieds d'un côté les éloges donnés à votre Bélizaire par l'Europe entière, et de l'autre les impostures de deux cuistres de collège. Je voudrais qu'un corps soutint ses membres quand ses membres lui font honneur.

Je n'ai que le temps de vous dire combien je vous estime et je vous aime.