1759-03-11, de Jean Antoine Noé Polier de Bottens à Jean Perdriau.

Puis que vous souhaitez d'étre instruit un peu en détail de ce que j'avois dessein de vous dire dans ma dernière au sujet de Mr De Volt.
je le ferai avec plaisir plus amplement que je ne l'aurois pu faire alors & je commencerai par vous dire que le Sr Gr. ayant entrepris de faire imprimer ici en secret un recueil de diverses pièces concernant Mr De V. sous le titre de Guerre Litteraire de M r De V.avec plusieurs particuliers anonimes, & le bruit s'en étant éventé dans le courant de l'impression & étant parvenu jusqu'à Berne soit par les avis qu'en donna Mr De V. à ses amis soit par d'autres, l'Academie de Laus. reçut une lettre des seigrs curateurs portant qu'ayants appris qu'il s'imprimoit à Laus. un Livre sous ce titre dans lequel il devoit y avoir plusieurs choses qui regardoient l'Etat & la Religion ils ordonnoient à l'Académie d'en prendre connoissance, de s'en faire remettre le Manuscrit & d'en arrêter ou suspendre l'impression jusqu'à nouvel ordre, de l'examiner avec attention & d'en donner incessamment leur avis, pour que sur icelui il fût procédé plus outre. Sur cela l'académie chargea les 2 Professrs en Théologie appellés par leur emploi à être censeurs des Livres à imprimer, auxquels on joignit le Professr en Droit pour observer dans cette enquête, dans cet examen & dans cette censure les formalités requises. Ces trois Messrs s'étans transportés dans la maison où ledt Livre devoit avoir été mis sous presse le trouvèrent actuellement imprimé jusqu'au bout & en prirent chacun un exemplaire pour l'examiner en particulier, & en conférer ensuite tous en semble pour en porter leur jugement de concert en Académie assemblée sous la présidence du seigr Ballif. Mais Ces Messrs n'ayants pu convenir dans leur conférence du la face sous laquelle l'on devoit regarder cette impression & le débit qu'on se proposoit d'en faire, savoir s'il devoit être prohibé ou non, prirent le parti de dresser chacun un mémoire particulier contenant le jugement qu'il avoit porté de toutes les pièces insérées dans ce recueil qu'ils produisirent dans l'Académie au jour marqué pour entendre leur rapport. Chacun lut le sien & après cette lecture, L'Académie jugea à propos d'envoyer ces 3 mémoires tels qu'ils avoient été lus aux seigrs curateurs & dans la même assemblée Monsr Le Profr Rosset, un des censeurs, nous produisit deux Lettres qu'il avoit reçus de Mr De V. pour l'engager à sévir de tout son possible contre l'impression & le débit de ce recueil qui n'étoit qu'un infâme libelle rempli de faussetés dans tout ce qui le regardoit: Mr Le Recteur produisit aussi un mémoire de la main de Mr De V. adressé à l'Academie sans être accompagné d'aucune Lettre ni d'aucun compliment sur l'envoi de ce mémoire où il déclamoit de la façon la plus violente contre Grass. et tous ses complices; mais l'on ne jugea pas à propos de faire aucun usage ni des lettres ni de ce mémoire qui fut seulement gardé pour le remettre au cas que l'on en fût requis par l'une ou l'autre des parties intéressées. Monsr Le Ballif nous parla aussi d'une lettre qu'il avoit reçue du dt Mr De V. sans nous la lire, mais qu'il nous dit être sur le même ton, à la quelle il avoit répondu comme particulier, & non comme Juge. Les mémoires susdts des 3 Censeurs ayants été envoyés aux seigrs curateurs, ils ont jugé que Grasset avoit eu tort de faire imprimer la dte Guerre Littéraire, sans sans nom d'éditeur, d'Imprimeur, ni du lieu de l'Impression, contre toute bonne police en fait d'imprimerie & contre d'anciens règlements donnés à ce sujet; qu'il devoit être en conséquence réprimendé par le Ballif en présence de l'Académie, & tous les exemplaires dudt Recueil qui se trouveroient chez lui enlevés & confisqués; le jugement ayant été porté devant LL. EE. du Petit Conseil y a été comfirmé avec ordre à l'Académie de faire notifier à tous les Libraires, & Imprimeurs du paÿs de ne faire imprimer aucun Livre que ce soit sans en donner avis aux Censeurs de livres établis par l'Académie qui devront examiner tous ceux que l'on se proposera d'imprimer: auxquels ils apposeront leur censure & leur approbation selon qu'ils le jugeront convenable, ou en donneront avis aux seigrs Curateurs si la chose le mérite. L'on dit que Mr De V. triomphe de cet arrêt, comme d'une victoire signalée remportée sur Grasset; cependant il ne s'est fait aucune mention ni de lui, ni de ce qui étoit contenu dans le dt Livre sur son compte, mais seulement de la voie furtive & secrète qu'a mis en usage ledt Grasset par l'impression du dt Recueil qui n'y est qualifié d'aucune désignation flétrissante; & si Gr. est en perte des exemplaires qui se sont trouvés chés lui en assés petit nombre à ce qu'on m'a dit, il en est bien dédommagé [par] le débit très promt de tous ceux qu'il a expédiés de toutes [parts].

Permettez qu'à cette occasion je vous communique aussi la lettreécrite par Mr De V. à Mr Haller sur le même sujet & la réponse de ce dernier qui aura dû à mon sens faire plus de peine à Mr De V. qu'il ne peut tirer de gloire de l'arrêt rendu contre Grasset. Je ne vous rapporte pas bien des choses que l'on débite sur toute cette affaire, parce que je ne les crois pas assés fondées. Vous me ferés plaisir de m'apprendre aussi ce qui aura été résolu sur ce sujet tant par la seigneurie que par la Compagnie de Geneve, & j'attens […]

Votre très humble & très obéisst serviteur

Polier