1767-05-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Joachim de Pierres, cardinal de Bernis.

Voicy Monseigneur deux exemplaires du mémoire en faveur des Sirven, et de la nature et de la justice, contre le fanatisme, et l'abus des loix.
J'aime mieux vous envoier cette prose que la tragédie des Scites que je n'ay pas seulement voulu lire parce que les libraires s'étant trop hâtez n'ont pas attendu mon dernier mot. On en fait actuellement une édition plus honnète que j'aurai l'honneur de soumettre au jugement de votre éminence. Je joue demain un des vieillards sur mon petit théâtre et vous sentez bien que je le jouerai d'après nature.

Vraiment si je suis assez heureux pour vous dédier une épître, cette épître ne sera que morale. Mais il faut que cette morale soit piquante, et c'est là ce qui est difficile.

Ce Mr Servant se taille des ailes pour voler bien haut. Il vint il y a deux ans passer quelques jours chez moy. C'est un jeune philosophe tout plein d'esprit. Il pense profondément: il n'a pas besoin des petites pretintailles du siècle.

J'ay peur que notre petite guerre de Geneve ne dure autant que celle de Corse. Mais elle ne sera pas sanglante. L'avanture des jésuites fait une très grande sensation jusques dans nos déserts: et on parle à peine d'une femme qui établit la tolérance dans onze cent mille lieues quarrées de pays, et qui l'établit encor chez ses voisins. Voylà à mon gré la plus grande époque depuis trois siècles. Conservez moy vos bontez, aimez toujours les lettres et agrées mon tendre et profond respect.

V.