au Camp de Sanfiorenso29 août 1766
Mon cher bienfaiteur,
Mr De Chauvelin vient de me faire voir une lettre, où vous daignez lui parler de moi, avec ces expressions d'amitié et de bonté qui m'attachent à vous pour toujours, et que je vous ai payé d'avance par autant de reconnaissance, que le genre humain vous doit d'admiration; et c'est tout dire.
J'ai tâché de ne point démentir l'opinion que vous aviez donné de moi à notre général, et j'ai joué mon rôle les 31 Juillet, le 1er et 24 août aussi bien que j'ai pû; Zamore ne pouvait pas être plus enflamé contre Gusman que je ne l'étais contre Barbaggi et Paoli, qui à la tête de lâches assassins nous insultent depuis que nous sommes en Corse et fuyent devant nous; ce beau mot de liberté n'est chez le général Corse que l'étendard de la tyrannie et du fanatisme; il gouverne et despote sa nation, il s'enrichit et ne la rendra jamais heureuse, ni tranquille; il a fondé sa puissance et les extases pour Paoli en font mal au cœur à commencer par l'épître dédicatoire qui me parait indigne d'un chevalier anglais.
Les Corses n'aiment l'indépendance que par vice; ils sont paresseux, vindicatifs et fourbes. Il me paraît que c'est une action digne d'un siècle que vous avés éclairé, de leur offrir une domination douce où ils pourraient connaître le bonheur de vivre en société, de cultiver leurs terres et les arts, et de n'être pas assassinés par des gens qui ont le chapelet à la main; mr De Chauvelin vient de leur annoncer que le roi les adopte pour ses sujets; il faudra les y forcer, si on les veut; nous y réussirons, car ils sont aussi lâches, aussi désunis que les Genois qu'ils ont battus étaient faibles et poltrons. Paoli jusqu'à présent ne me paraît qu'un pantalon napolitain; mais toute la Corse au bout de cent ans vaudra-t-elle à la France ce qu'elle compte déjà, et le sang des hommes que nous perdons tous les jours?
Je suis à vos pieds, mon cher maître.