16e janv: 1769
Le solitaire, Monsieur, à qui vous daignez vous expliquer avec confiance, la mérite du moins par son extrême attachement pour vous.
Il pense comme vous qu'on casse des cruches de terre avec des Louïs d'or, et qu'après s'être emparé d'un païs très misérable il en coûtera plus peut être pour le conserver que pour l'avoir conquis. Je ne sais s'il n'eût pas mieux valu s'en déclarer simplement protecteur avec un tribut, mais ceux qui gouvernent ont des lumières que les particuliers ne peuvent avoir. Il se peut que la Corse devienne nécessaire dans les dissentions qui surviendront en Italie. Cette guerre éxerce le soldat, et l'accoutume à manœuvrer dans un païs de montagnes.
Je sais bien que l'Europe n'aprouve pas cette guerre, mais les ministres peuvent voir ce que le reste du monde ne voit pas. D'ailleurs, cette entreprise étant une fois commencée on ne pourait guères y renoncer sans honte.
Si vous voiez Mr De Chauvelin, je vous suplie, Monsieur, d'ajouter à toutes vos bontés celle de lui dire combien je m'intéresse à lui. Je lui suis attaché depuis longtems. La nation corse ne méritait guères qu'on lui envoiât l'homme le plus aimable de France, et le plus conciliant.
Je vous tiens très heureux, Monsieur, de pouvoir passer vôtre hiver auprès d'un homme aussi généralement aimé et estimé que M: le prince de S… Il me semble que le public rend justice à la noblesse de son âme, à sa générosité, à sa bonté, à sa valeur, et à la douceur de ses mœurs. Il m'a fait l'honneur de m'écrire une Lettre à laquelle j'ai été extrêmement sensible; celà console ma vieillesse qui devient bien infirme. Je mourrai en le respectant. Je vous en dis autant, Monsieur, et du fond de mon cœur.
V.