7e juillet 1768
Rien n'est plus sûr, mon cher ange, que les lettres de Lyon.
Vous pouvez d'ailleurs les adresser à Mr Lavergne, banquier, ou à Mr Sherer aussi banquier, tantôt l'un, tantôt l'autre. Celà est inviolable et inviolé, et je vous en réponds sur ma vieille petite tête.
Permettez moi de réfuter quelques petits paragraphes de vôtre exhortation du 29 juin, en me soumettant à beaucoup de points.
Les sermons du père Massillon sont un des plus agréables ouvrages que nous aions dans nôtre langue. J'aime à me faire lire à table; les anciens en usaient ainsi, et je suis très ancien. Je suis d'ailleurs un adorateur très zèlé de la divinité, j'ai toujours été oposé à l'athéisme. J'aime les livres qui exhortent à la vertu, depuis Confucius jusqu'à Massillon, et sur celà on n'a rien à me dire qu'à m'imiter. Si tous les conseils des rois de l'Europe étaient assemblés pour me juger sur cet article je leur tiendrais le même langage, et je leur conseillerais la lecture à diner parce qu'il en reste toujours quelque chose, et qu'il ne reste rien du tout des propos frivoles qu'on tient dans ses repas tant à Rome qu'à Paris.
Quant à l'histoire dont vous me parlez, mon cher ange, il est impossible que j'en sois l'auteur; elle ne peut être que d'un homme qui a fouillé deux ans de suitte dans des archives poudreuses. J'ai écrit sur cette petite calomnie qui est environ la troiscentième, une Lettre à mr Marin pour être mise dans le mercure qui commence à prendre beaucoup de faveur. Je sais à n'en pouvoir douter que cet ouvrage n'a pas été imprimé à Genève, mais à Amsterdam, et qu'il a été envoié de Paris. Je sais encor qu'on en fait deux éditions nouvelles avec additions et corrections, car je suis fort au fait de la Librairie étrangère.
Il est bon, mon cher ange, que l'on fasse imprimer sans délais, jour et nuit, sans perdre un moment, ces Guèbres sur lesquels je pense précisément comme vous. On me les a dédiés dans le païs étranger, et on me loue dans l'épître d'aimer passionèment la Tolérance et de respecter beaucoup la religion; celà fait toujours plaisir.
On a fait deux nouvelles éditions du siècle de Louïs 14 et de Louïs 15. On m'a envoié d'Angleterre une belle médaille d'or de l'amiral Anson en signe de reconnaissance du bien que j'ai dit de ce grand homme avec la vérité dont je suis assez partisan.
On dit que nous allons avoir une petite histoire de la guerre de Corse. Je suis bien fâché que mr De Chauvelin n'ait pas été à la place de mr De Vaux. Vous ne sauriez croire quelle considération le ministère de France a chez l'étranger, ou plutôt, vous le savez mieux que moi. Faire un pape, gouverner Rome, prendre un roiaume en vingt jours, ce ne sont pas là des bagatelles. Tout languissant et tout mourant que je suis, je pourais bien ajouter un chapitre au siècle de Louis 15.
Je prends la plume mon cher ange pour vous dire que j'ay sçu que vous cherchiez quelque argent. Je n'ay actuellement que dix mille francs dont je puisse disposer à Paris. Les voilà. Agrées le dénier de la veuve. Je suis très affligé du dérangement de la santé de madame Dargental. Dites moy de ses nouvelles, je vous en conjure.
N'admirez vous pas comme j'écris lisiblement quand j'ay une bonne plume?
A l'ombre de vos ailes mes anges.
V.