1769-06-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je n'ai pas été assez heureux, mon ancien ami, pour que l'ouvrage de Mr De Mairan sur le feu central parvint jusques dans mes déserts glacés.
Tout ce que je sais c'est que le feu qui anime sa respectable vieillesse m'a toujours paru brillant et égal. Il me semble que Mr De Mairan possède en profondeur ce que mr De Fontenelle avait en superficie. Faittes moi l'amitié de me chercher son feu central, et d'ajouter ce petit déboursé à ceux que vous avez déjà bien voulu faire pour moi.

Il y a longtems que je suis très certain que le feu est par tout; mais je pense qu'il serait difficile de prouver qu'il y eût un foier ardent tout au beau milieu de nôtre globe. Pour celà il faudrait creuser ce grand trou que proposait ce fou de Maupertuis.

A propos, puisque vous dinez avec made Du Pin et Mr de Mairan, dites leur, je vous prie, que je voudrais bien en faire autant.

Vous avez bien raison sur le Cardinal de Bernis; c'est lui qui a fait le pape. Il fait ce qu'il veut dans Rome. Il y est adoré.

Le petit magistrat m'est venu voir encor; c'est un être fort singulier; il ne lâche point prise; il se retourne de tous les sens. Je vous ferai savoir de ses nouvelles dans quinze jours.

On a frapé en Angleterre une médaille de l'amiral Anson. C'est un chef d'œuvre digne du tems d'Auguste. Le revers est une victoire posée sur un cheval marin, tenant une couronne de Lauriers; les noms des principaux officiers qui firent avec lui le tour du monde, sont gravés autour de la victoire dans de petits cartouches entourés de lauriers. Celà est patriotique, brillant et neuf. La famille me l'a envoiée en or; elle m'a fait cet honneur en qualité de citoien du globe, dont l'amiral Anson avait fait le tour.

Bon soir mon ancien ami qui me serez cher tant que je végéterai sur ce malheureux globe.