1776-05-15, de Charles Bonnet à Lazzaro Spallanzani.

… Le vieux Poëte de Fernex, à qui vous avez voulu rendre hommage, sacrifieroit bien volontiers quelques uns des Lauriers qu'il tient de Melpoméne, pour le plus petit Rameau de ceux que vous avés moissonnés dans le riche champ de la Nature.
Vous ne pouvés douter qu'il ne vous fasse une réponse très flatteuse: il est toujours très avide de ces louanges qu'on prodigue de toutes parts à sa célébrité. Mais, ne vous attendez pas qu'il sçaura lier vos Faits et en tirer les conséquences qu'en tireront les Naturalistes Philosophes. Comptés qu'il n'est ni Philosophe ni Naturaliste. Ses ridicules Singularités de la Nature doivent vous l'avoir assés appris. Sa Tête n'est point faite pour l'observation, & beaucoup moins encore pour l'analyse. Il écrit et lit sans cesse, & le plus souvent du pouce. Je ne puis vous répondre que vous fixiés quelque temps son attention. Il est toujours à Cheval sur son Pégaze, et ne voit les Objets qu'avec les yeux d'un Oiseau. Il n'en voit donc ainsi que la superficie; et c'est grand hazard encore quand il saisit cette superficie telle qu'elle est. Il est pourtant passionné pour les Germes; car il se passionne pour tout ce qui l'attire un peu fortement. Ce n'est pas à dire qu'il sache ce que c'est proprement qu'un Germe. Si un Naturaliste le mettoit sur ce Chapitre, il reconnoîtroit bientôt qu'il ne sçait guères de la chose que le mot. Vous n'imaginés pas à quel point cet Esprit est volatil. Mais c'est assés vous parler de ce vieux Chef de la cabale philosophesque….