1776-09-18, de Charles Bonnet à Lazzaro Spallanzani.

Je n'avois pas présumé, mon cher Philosophe, que ma Lettre du 29e de Juin s'étoit égarée.
Je vous en envoye donc cy incluse une copie, qui satisfaira à ce que vous désirés de sçavoir touchant votre Traducteur François. J'ajoute ici, qu'il est Pasteur de notre Eglise, & qu'il remplit avec soin les devoirs de son Etat. Il est infiniment reconnoissant de toutes les honnêtetés que renfermoit votre réponse, et il vous le témoigne lui-même dans l'Incluse, qu'il m'a prié de vous faire parvenir. Je vous adresse mon Paquet à Reggio & j'espère qu'il n'aura pas le même sort que celui du 29e de Juin.

J'étois bien sûr de ne m'être point trompé dans le Portrait que je vous avois crayonné de l'infatigable Polygraphe de Fernex. Si vous n'aviez pas lu ma Palingénésie quelle Idée auriez vous eu de mon Hypothése par cette phrase du Polygraphe? Je crois que c'est Mr Bonnet, grand Observateur, qui a prétendu que nous ressuciterions avec notre devant, mais sans derrière. C'est là le fin du fin. Et à qui écrit-il celà? à vous même, mon cher Malpighi, et dans une Lettre que vous devez avoir reçu de luy sous la date du 6e de Juin dernier. Vous pensiez donc poséder seul cette belle Lettre, & vous n'imaginiez pas, sans doute, que le Public seroit en tiers dans votre Correspondance avec le vieux Brochurier. J'ai dans ce moment sur ma Table un nouvel ouvrage qu'il vient de publier sous ce titre: Commentaire historique sur les Oeuvres de l'Auteur de la Henriade &c. Avec les Piéces originales & les preuves. A Basle chez les Héritiers de Paul Duken 1776; et c'est dans cet Ouvrage qu'il a inséré la Lettre qu'il vous a écrite. Il avoit dit en 1769 dans une méchante Brochure intitulée Dieu & les Hommes, qu'un Rêveur nommé Bonnet, dans un Recueil de facécies intitulé Palingénésie philosophique, prétendoit que nous ressusciterions sans nos Parties de devant et de derrière. Ce Bonnet a la tête félée; il faut la mettre avec celle de Ditton&c. J'avois prié un de ses Amis de la remercier de ma part de cette honnêteté littéraire & de le conjurer de ne rien changer à ce passage quand il réimprimeroit sa Brochure. Il m'a accordé ma demande, & le passage se retrouve tel quel dans un des derniers Volumes de ses Mélanges. Je ne vous en ai transcrit qu'une partie: je n'ai pas actuellement sous la main la Brochure. Vous sçavez qu'aucun Apologiste du Christianisme n'avoit plus ménagé que moi les Incrédules: je m'étois même plaint dans ma Préface qu'on ne les ménageoit pas assés. Notre Brochurier a craint que ma modération & la marche que j'avois prise ne fussent trop favorables à la Cause que je défendois: & comme il ne pouvoit réfuter solidement mes Argumens, il a trouvé plus commode de jetter un ridicule sur mon Livre & sur l'Auteur. Il en auroit dit cent fois pis, que je n'aurois pas eu la plus légère démengeaison de lui répondre. Je déplore son aveuglement & ses écarts; mais je déplore bien davantage encore les maux sans nombre que ses Ecrits ne cessent de produire & qu'ils produiront longtemps après sa mort. On a répondu cent fois à ses objections, & il les reproduit toujours comme si elles étoient demeurées sans Réponse. Il tronque les passages; & puis il les oppose avec confiance à ceux qu'il veut combattre. Il parle sans cesse de tolérance, et il est le plus intolérant des Hommes envers ceux qui ne pensent pas comme lui, & sur tout envers ceux qui osent le moins du monde le critiquer. Ceux même qui ne l'ont jamais attaqué directement ou indirectement ne sont pas à l'abri de ses sarcasmes, s'ils osent défendre la Religion. J'en suis un éxemple & il en est bien d'autres. Quel monstrueux abus des talens!

L'état de l'Insecte dans l'Oeuf, de la Plante dans la Graine, ne me paroit pas pouvoir être comparé à celui du Rotifère& des Anguilles desséchées, qui reviennent à la vie. Mon illustre ami Mr Trembley n'avoit pas assés approfondi les Idées qui entrent dans sa comparaison. Je crois vous avoir écrit ce que je pensois là-dessus. Ce beau Phénomène me semble tenir à l' Irritabilité. L'Eau est le stimulant qui réveille l'action des organes. Cette action organique n'est que suspendue. Les organes se contractent apparemment, et comme ils sont fort simples, leurs élémens peuvent se rapprocher sans que leurs rapports essentiels changent. J'exposois cela l'année dernière un peu plus en détail au célèbre Adanson. Je n'ai pas actuellement le temps de m'étendre sur ce sujet intéressant: mais, vous connoissés assés ma manière de penser là-dessus, & j'y avois déjà touché dans la Palingénésie. Nous sommes donc du même avis, & j'en suis charmé. Je m'en entretiendrai un de ces jours avec Mr Trembley.

Votre amour si sincère pour le vrai vous méritera toujours la plus grande confiance de la part des Naturalistes philosophes. Il y a longtemps que je vous ai donné toute celle que vous méritez à si juste titre.

La grande Edition de mes Oeuvres n'a pas encore commencé. Les Papiers ne sont pas arrivez; mais ils arriveront dans le courant de ce mois. Je n'ai pas entièrement achevé l'Ecrit d'Histoire Naturelle dont je vous parlois dans ma Lettre du 29e de Juin: mais il est bien avancé.

Ma correspondance étrangère en soufre beaucoup: je ne puis suffire à tout: ma santé s'y oppose. Excusés moi encore auprès de l'estimable Abbé Corti, en lui renouvellant mes plus sincères complimens.

Vous sçavez, mon cher & digne confrère, combien je vous suis & vous serai toute ma vie attaché.