[c. 5 April 1766]

Monsieur,

Des natifs pénétrés de douleur de voir les bourgeois, avec qui nous sommes alliés par le sang, égaux par la naissance, vivant sous les mêmes lois, nous fassent des injustices si fréquentes.
C'est pourquoi nous avons recours à votre plume. Connaissant votre haine pour les injustices et votre amour pour la tolérance, vous seul pouvez les rappeler à eux mêmes, et leur faire un tableau d'un vrai républicain. Ils verront ces différences odieuses qu'ils mettent avec leurs citadins. Rousau les a fait naître, vous seul pouvez leur faire voir l'énormité de leur conduite. Notre république est perdue si vous ne les rappelez à l'amour de la vertu et de l'égalité dont ils s'éloignent tous les jours. Les malheurs fondront sur cette chère patrie s'ils persistent à suivre les préceptes de Rousau.

Rousau lui même a oublié un des principaux points. Il devait intimer aux bourgeois dans tous ses écrits que pour déclamer contre nos magistrats et les traiter d'injustes, il devait commencer par être justes eux mêmes. Rousau leur donne si souvent le nom de souverain qu'ils ont cru devoir s'en servir à nous faire des injustices. Ils ont cru être la noblesse de Pologne et qui nous devait traiter comme des serfs. Pensent ils que nous pouvons d'un instant à l'autre devenir des Brutus s'ils veulent être César?

Nous serions déjà exclus du commerce et de toute profession honoraire sans la justice des conseils. Pourrions nous nous voir dépouiller de tous les avantages que la naissance nous donne? Quels reproches ne nous feraient pas nos enfants, c'est l'indolence de nos pères. Ne nous étaient ils pas responsables de tous les avantages que nos aïeuls nous avaient acquis? Liberté chérie, nous ferons tous nos efforts pour te conserver. Autant aurait il valu naître chez un despote. Quoi! la partie de l'état la plus considérable se verrait asservie, nous qui n'avons pas épargné notre sang ni nos vies, nous nous laisserions ravir de ce bien précieux, et Rousau qui la voulait faire revivre sur la terre, et le principe qui nous la fait ravir. Oui Rousau, il s'élève dans mon cœur des mouvements d'indignation contre toi, tu as rempli le coeur des bourgeois d'orgueil et de vanité jusqu'à leur faire aimer la domination. Tu les a élevés, ils se sont abaissés puisqu'ils se trouvent aujourd'hui dans la plus singulière contradiction en réfutant de la manière la plus solennelle l'ouvrage de ta vindication, qui leur semblait être une nouvelle grâce descendue de la divine demeure.

Mais nous qui les aimons encore malgré leur requête de 1755 au conseil qui demandait précisément qu'on ôtât tout ce que l'illustre médiation nous accordait, qui aurait dû s'attendre à un trait d'ingratitude aussi noire, nous qui avions tout fait pour eux?

Nous avons recours au vengeur de la tyrannie et l'illustre de Voltaire prendra en considération la grâce que nous lui demandons.