1767-04-10, de Pierre Cassen à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Je comptois vous adresser mon Mémoire pour la famille infortunée que vous protégez.
Mr Damilaville a Bien voulu s'en charger, et j'aprens indirectement par une lettre imprimée, que vous avez lu cette déffense; je me reprocherois à présent mon silence, et je joins mes Excuses à mes remercimens; ce n'est que par mon zèle, Monsieur, que mon Ministère peut être utille à ces malheureuses victimes d'un aveugle préjugé, mais Elles doivent compter sur toutte son Etendue; il y a longtems qu'on m'avoit choisi pour ètre l'avocat des Sirven, et ce ne fut qu'au mois de Janvier dernier, qu'on me mit en Etat de faire les premiers pas; depuis j'ay donné à cette affaire la préférance qu'elle mérite; les malheureux ont touttes sortes de Droits à nos travaux, et nous sommes trop payés par le Bonheur de les déffendre; c'est la gloire de notre profession, et le désintéressement dans ces occasions, n'est que le payement d'une dette que tout avocat contracte, et qu'Il s'empresse toujours d'acquitter; ainsi, Monsieur, je n'ay nul mérite personel à cet Egard; un devoir n'est point une générosité. L'Intérêt que vous prenez à cette affaire est Bien respectable; le protecteur des Calas et des Sirven est ce grand homme dont tout l'Univers admire les ouvrages, la Bonté de son coeur est aussi connue que l'étendue de son génie; Il fait des heureux, il protège l'innocence et tous les momens de sa vie sont ainsi destinés au Bonheur, et à l'Instruction de l'humanité! Il y a longtems, Monsieur, que j'admire en vous cette disposition toujours renaissante de faire du Bien; né dans la même Ville que M. Corneille, j'ay suivi tous ses pas, j'ay même été le confident de ses démarches, et je n'ay plus doutté de sa félicité, quand j'ay apris que vous adoptiez sa famille; peut être Made Dupuis se souvient elle de mon nom, et je désire que ce soit pour être persuadée de tout l'intérêt que je prens à elle; je n'ose, Monsieur, vous interrompre plus longtems, et je vous suplie d'agréer les assurances du Respectueux dévoüement avec le quel j'ay L'honneur d'Etre

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Cassen avocat aux conseils, Rue Montmartre