11 mars 1767, à Ferney
Mon cher ami, je sors d'une grande répétition des Scithes.
Le 5e acte est sans contredit celui de tous qui a fait le plus d'effet théâtral, mais il demande de terribles nuances. Le couplet d'Athamare quand il encourage Obéïde à le frapper, prononcé de la manière dont vous le direz, avec courage, avec noblesse, avec un air de maître, contribue beaucoup au succès. La scène du père et de la fille, l'air morne, recueilli, douloureux et terrible, qu'Obéïde y conserve toujours avec son père fait de cette scène même une des plus attachantes. La curiosité et l'effroi saisissent toute l'assemblée. Ce 5e acte vient de faire le même effet à Lausanne. C'est celui de tous qui a le plus réussi. On répète la pièce à Genève, on la répète à Lyon dans quatre jours. Vous voyez qu'il est de toute impossibilité d'attendre après pâques. Le libraire de Paris serait prévenu par les libraires de province et par ceux de Suisse. Si j'étais à Paris vous ne seriez pas exposé à ces inconvénients, mais il y a près de vingt ans que les indignes persécutions que j'ai essuyées pour tout prix de mes travaux, m'ont fait renoncer à ma patrie. C'est à Fréron et Coqueley, son approbateur, à triompher dans Paris.
Voici un petit résumé de tous les changements faits à la pièce, afin que s'il en est échappé quelqu'un dans votre copie vous puissiez aisément le remplacer. Au reste vous sentez bien que tout dépend de votre santé. Il ne faut pas vous tuer pour des Scithes. Tout dépend surtout de la santé de made la dauphine, et on n'a pas besoin d'un tel motif pour souhaiter son rétablissement. Je vous embrasse bien tendrement.
V.
N. B. Melle Dubois s'est plainte à moi, elle a cru que vous m'aviez engagé à la priver du rôle d'Obéïde; je l'ai détrompée comme je le devais.
Acte premier
des Scythes
Sozame ne dit point:
'Mais je crains que ma fille au désert, etc.'
Il dit
'Mais je sens que ma fille, au désert enterrée,Du faste des grandeurs autrefois entourée,Dans le secret du cœur pourrait entretenir,De ses honneurs passés l'importun souvenir.'
Acte second
Obéïde ne dit point dans sa première scène avec Sulma:
'. . . . Mon père veut un gendre,C'est dans ses derniers ans un parti qu'il faut prendre.'
Elle dit:
'. . . . Mon père veut un gendre,Il ne commande point; mais je sais trop l'entendre:Le fils de son ami doit être préféré, etc.'
N.B. Elle ne doit pas en dire davantage.
Acte troisième
Athamare ne finira point la scène avec Obéïde par ce vers:
'J'obéis: allons voir quel sang je dois répandre.'
Il dira:
'J'obéis: malheureux, quel sang vas-tu répandre!'
N.B. Il faut absolument qu'Athamare sorte avec fureur, sans quoi il n'y aurait plus ni chaleur, ni variété, et il démentirait son caractère violent et emporté.
Acte quatrième
Si on ne veut pas de ce vers:
'Il m'entend, il me voit, il revient, il soupire.'
Qui fait un très grand effet sur tous les théâtres où il a été récité, il n'y a qu'à mettre:
'Mon malheur te poursuit; il revient, il soupire.'
Mais cela est infiniment moins pathétique.
Acte cinquième
La pièce ne finit point par ces deux vers:
'Scythes, contentez-vous de ce grand sacrifice,Et sans être inhumains, cultivons la justice.'
Il y a:
'Nous sommes trop vengés par un tel sacrifice;Scythes, que la pitié succède à la justice;(Ou bien:)'Scythes, que la pitié remplace la justice.'
La première scène fait un si grand effet sur tous les théâtres, qu'on ne fera pas l'outrage à celui de Paris de changer un seul mot dans cette scène.
Voilà ce qu l'on répond à monsieur de Thibouville, et ce qu'on prie très-instamment monsieur Lekain de vouloir bien faire exécuter; il serait absurde de retrancher les derniers vers du 4me acte. Ah! laissez moi mourir, seigneur, sans vous entendre. C'est la seule chose qui puisse faire comprendre aux spectateurs que le père n'a rien expliqué à sa fille entre le 4me et le 5me acte.
N.B. La pièce fait partout un très grand effet, et il est à croire qu'entre les mains de m. Lekain, elle en fera un beaucoup plus sensible. Je l'accepte, après un morne silence et trois pas en avant, a été reçu avec frémissement, et des battements de mains qui ne finissaient pas.