1767-02-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes chers anges sçauront donc que dans cette nouvelle édition de la Tragédie des Scithes, envoiée par le dernier ordinaire à mr Le Duc De Praslin il m'a paru manquer bien des choses, et que dès que je vous eu écrit que je n'y pouvais rien ajouter, j'y ajoutai sur le champ quatre vers.
Voicy à quelle occasion. Dans la scène du 4e acte entre Athamare et Indatire, ce Scithe dit au prince,

Aprends à mieux juger de ce peuple équitable,
Egal à toi sans doute, et non moins respectable.

Athamare ne répond rien à celà; il est vrai qu'il est pressé de parler de sa demoiselle, mais il me parait nécessaire de confondre d'abord cette bravade. Je le fais donc répondre ainsi,

Elève ta patrie et cherche à la vanter,
C'est le recours du faible; on peut le suporter.
Ma fierté que permet la grandeur souveraine
Ne daigne pas ici lutter contre la tienne.
Te crois-tu juste, au moins?

INDAT:

Ouï, je puis m'en flatter
etca.

Il y a encor un mot qui m'a paru trop rude au 2d acte. Hermodan en voiant le repentir d'Athamare dit,

Je me sens attendri d'un spectacle si râre.

Sozame répond,

Tu ne m'attendris point, malheureux Athamare.

Celà n'est pas juste, celà n'est pas honnête. Il doit lui dire,

Tu ne me séduis point, malheureux Athamare

Je recommande donc ces deux corrections à vos bontés angéliques. Je vous prie de les faire porter sur l'éxemplaire de Le Kain et sur les autres. Il n'en coûte que la peine de coller quelques petits pains.

Après cette importunité, je vous demande une autre grâce, c'est d'envoyer un éxemplaire bien corrigé à made De Florian qui n'en fera pas un mauvais usage, et qui ne le laissera pas courir. Il ne serait pas mal qu'elle vit une répétition; elle s'y connait, elle dit son mot net et court. Plus j'y pense, plus j'aime les Scithes. Je prie Dieu qu'ainsi soit de vous. Le sujet est heureux ou je suis bien trompé, et le sujet fait tout.

Mille tendres respects.

V.