3e Mars 1767 à Ferney
Je ne pouvais croire, mon cher Colonel, que vous eussiez fait ces vers pour ne les point dire; mais puisque ce n'est qu'un amusement que vous avez voulu vous donner je suis bien loin de le trouver mauvais.
Je suis bien aise aucontraire qu'on s'amuse de ses talents en tout genre.
Aureste, je vous prie instamment de considérer qu'Athamare ne doit guères faire de compliments dans l'état violent où il est au 4e acte. C'est bien assez qu'il dise à Hermodan
Il est essentiel qu'il parle un peut durement à Sozame dont il est très mécontent, sans quoi Sozame paraîtrait trop cruel de ne pas s'oposer au sacrifice au 5e acte en présence des Scithes. Enfin il me parait qu'Athamare ne doit parler qu'en maître à Sozame au milieu du tumulte du 4e acte.
J'ai changé quelque chose à Sozame dans le 5e mais je ne vous l'envoie point afin de ne point fatiguer la mémoire des acteurs.
Je vous prie surtout de considérer que si Athamare disait, Peinds mon désespoir à Hermodan, les Scithes paraitraient beaucoup trop barbares en le condamnant à la mort. Vous conviendrez bien encor que quand un homme est présent on ne dit point à un autre, peinds-lui mon désespoir; on s'adresse à lui même. Enfin, vous jugerez qu'il ne doit point être désespéré d'avoir tué un rival qui lui a parlé très insolemment.
Vous savez sans doute que retard, ne se dit point dans la poësie noble, et qu'il n'y en a aucun éxemple.
On ne peut être plus sensible que je le suis à toute la bonté que vous avez. Deux de nos acteurs de Ferney ont été obligés d'aller à Lyon, ainsi nous ne jouerons pas la pièce aussitôt que nous l'espérions. Une maladie de Le Kain est cause aussi d'un retardement ou d'un retard à Paris. S'il arrivait quelque inconvénient pareil à Lausanne, je vous prie de m'en avertir. Je compte toujours que la pièce restera fidèlement entre vos mains. Et quelque chose qu'il arrive je n'ai que des grâces à vous rendre.