1767-01-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre de Buisson, chevalier de Beauteville.

Monsieur,

Je ne vous demande pas pardon de mon ignorance, mais de ma sottise, heureusement votre excellence est indulgente et remplie de bontés.
J'avais imaginé que je pourrais, lorsque la saison serait moins cruelle, venir vous faire ma cour à Soleure, et aller ensuite arranger mes petites affaires avec sa très dérangée altesse le duc de Virtemberg. Je croiais que messieurs les trésoriers des lignes, qui font quelquefois toucher de l'argent à Bâle, pourraient accepter la petite négociation que je proposais, le receveur du duc à Montbelliard m'ayant assuré qu'ils paieraient sans difficulté. Je trouve actuellement un correspondant à Neufchâtel qui me fera mes remises. Je ne puis remercier assez votre excellence de ses offres généreuses. M. Hennin ne nous a donné qu'un passeport signé de lui pour le commissionnaire qui porte nos lettres. J'avoue que nous avons mangé aujourd'hui des soles aussi fraîches que si elles avaient été pêchées ce matin; mais, par Apicius, ce n'est pas à m. Hennin que nous en avons l'obligation. Nous manquons précisément de tout; nous n'avons autour de nous que des neiges. La voiture publique de Lyon n'arrive plus; nous sommes bloqués, nous sommes les seuls qui souffrons. Les officiers qui nous assiégent en conviennent. J'ai pris la liberté d'en écrire un mot à m. le duc de Choiseul, et beaucoup de mots à mm. Dubois et de Bournonville; il est très certain que les gènevois peuvent faire venir tout ce qu'ils veulent par la Savoie, par Milan, par la Suisse, par le Valais; qu'ils peuvent manger des gelinottes, et de tout, excepté des soles. Ils ont de bon sucre, de bon café, de bonne bougie, et moi rien, tout comme Fréron. La guerre et les neiges finiront quand il plaira à dieu.

A l'égard de la petite affaire à laquelle votre excellence a daigné s'intéresser, je laisse agir ceux qui en sont les auteurs. J'ai l'honneur d'être, avec un profond respect et un attachement inviolable, monsieur, de votre excellence le très humble et très obéissant serviteur.

Voltaire