1766-12-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

J'allais partir tout malade que je suis et je ne suis point encor parti mon divin ange.
Madame Denis dans son inquiétude et dans sa douleur avait donné l'allarme à son frère. Je vous prie de le rassurer, et d'être très tranquile. Il doit venir vous voir. Madame le Jeune est en lieu de sûreté, elle n'a rien à craindre, elle n'est coupable en rien. Elle m'a dit qu'elle est sœur de ce célèbre capitaine Thurot qui est mort si glorieusement au service du Roy. Quelle destinée pour la sœur d'un si brave homme!

Elle m'a dit encore que madame Dargental ne sait rien. Ainsi vous ne l'inquiéterez point. J'espère que tout ira bien. Nous faisons un procès criminel à la Doiret qui est une friponne, et à son complice qui est un scélérat. Voicy la copie de la lettre que j'écris aujourduy à M. le vice chancelier. Nous ne demandons point grâce, nous demandons justice. Il n'y a certainement d'autre démarche à faire sinon que vous parliez à mr de Maupeou, que vous luy fassiez voir l'absurdité qu'il y aurait à imaginer que je vends des livres étrangers, et que j'envoye des cinquante et soixante volumes de dix ou douze ouvrages différents, qu'on a pris indignement mon nom, que cette affaire ne peut se traitter que judiciairement, que nous demandons en justice la main levée de nos effets volez, que le directeur du bureau a agi contre les ordonances en n'arrétant pas la dame Doiret et son complice qui était venu avec elle dans le même carosse, que madame Denis est en droit de répéter ses effets volez etc. etc. Une conversation suffira. Je me flatte qu'on n'étourdira pas le Roy de cette misère, et que tout sera fini mon cher ange, par votre sagesse et par votre activité.

Cela ne m'empêche point de finir les Scites. Les malheurs de l'homme ne font jamais rien au poète. L'homme et le poète vous adorent.