1766-09-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je me flatte, mon cher ami, de recevoir aujourd'hui ou demain quelques éclaircissements de vous sur le procès de Sirven.
Madame la duchesse d'Enville qui daigne s'intéresser à cette affaire, m'a mandé que plusieurs personnes ne croyaient pas que m. Chaudon convînt pour rapporteur; c'est à m. de Beaumont à dire ce qu'il en pense et ce qu'il en sait. Je ne ferai rien que sur ses ordres.

Il est bien cruel qu'une affaire si importante ait traîné si longtemps. J'ai intéressé des têtes couronnées à protéger les Sirven; mais nous n'avons pas encore beaucoup d'appui en France. La pitié s'y épuise trop vite. J'espère que vous et m. de Beaumont, vous échaufferez les cœurs.

Comme les lettres falsifiées dont je vous ai parlé se répandent beaucoup dans les pays étrangers, je crois qu'il est bon de mettre un frein à ce nouveau genre de calomnie et de méchanceté. Il y a une lettre de m. Diodati que je crois maître de langue à Paris. Le crime de faux y est plus dangereux que dans les autres lettres. En changeant seulement trois ou quatre mots, et à l'aide d'une petite phrase interpolée, on y outrage cruellement un des principaux membres du conseil d'état. Cette horreur peut être d'une grande conséquence et faire tort aux Sirven. Je ne sais point la demeure de ce m. Diodati qui m'avait envoyé son livre de l'Excellence de la langue italienne. Thiriot n'est point homme à nous aider dans cette affaire; tout le monde est à la campagne, je ne sais à qui m'adresser. La retraite a ses charmes, mais elle a aussi de cruels inconvénients; elle nous éloigne de nos amis, et fait avorter toutes les affaires.

Je fais jouer Henri 4 demain sur mon petit théâtre pour ma consolation. M'entretenir avec vous en serait une plus grande.