26 juin 1766
Je suis enchanté de l'abbé Morellet, mon cher frère; en vérité tous ces philosophes là sont les plus aimables et les plus vertueux des hommes et voilà ceux qu'Omer veut persécuter! Il n'y a qu'un homme infiniment instruit dans la belle science de la théologie et des pères qui puisse avoir fait l'examen critique des apologistes.
J'avoue que le livre est sage et modéré, tout critique doit l'être; mais je ne pense pas qu'on doive blâmer le lord Bolingbrocke d'avoir écrit avec la fierté anglaise et d'avoir rendu odieux ce qu'il a prouvé être méprisable. Il fait, ce me semble, passer son enthousiasme dans l'âme du lecteur. Il examine d'abord de sang-froid, ensuite il argumente avec force, et il conclut en foudroyant. Les Tusculanes de Ciceron et ses philippiques ne doivent point être écrites du même style.
Les Sirven et moi, mon cher frère, nous vous aurons une égale obligation, de presser notre Elie. Je suis sûr qu'il se fera plus d'honneur par cette cause que par celle de m. de la Luzerne. L'aventure des Sirven est liée à de plus grands objets; elle tient à l'intérêt public, aux mœurs et aux lois de notre nation. J'attends tous les jours les lettres de Beaudinet et de Covelle qui sont imprimées à Neufchatel. Je vous suis bien obligé de m'avoir envoyé quatre exemplaires de la justification du président de Thou. J'aurais souhaité que Merlin, qui probablement a imprimé ce petit ouvrage, y eût apporté plus de soin, et y eût mis plus de correction; il y a des fautes qui ne sont pas pardonnables. Il faudrait surtout qu'il fît corriger à la main le vers d'Horace qui est à la page sept, et qu'un homme qui sait son latin et son Horace voulût bien s'en donner la peine. Ce vers est si ridiculement défiguré qu'il peut faire grand tort à l'ouvrage.
Vous me faites un grand plaisir, mon cher frère, de me dire que mlle Sainval a réellement du talent. Il est à souhaiter qu'elle soutienne le théâtre qui tombe, dit on, en langueur. Mais quand aurons nous des hommes qui aient de la figure et de la voix?
J'ai écrit à m. Grimm. Il s'agit de me faire savoir les noms des principales personnes d'Allemagne que je pourrai intéresser à favoriser les Sirven. Je vous supplie de lui en écrire un mot, et de le presser de m'envoyer les instructions que je lui demande. Les Sirven et moi nous vous en aurons une égale obligation. Adieu, mon cher frère, s'il n'y a point de nouveauté à présent, le livre attribué à Fréret doit en tenir lieu pour longtemps. Il fait honneur à l'esprit humain.
Comme je vous embrasse vous et les vôtres!