1766-05-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

En réponse à votre lettre du 15, mon cher ami, je vous dirai que je viens de lire l'article dont vous m'avez parlé; tout mon petit troupeau et moi nous en sommes transportés.
J'ai fait l'acquisition dans mon bercail d'un jeune avocat qui est notre bailli et qui est homme à plaider vigoureusement contre les intolérants.

Le buste en ivoire d'un homme très tolérant partit à votre adresse le mardi 13 de ce mois. Il est vrai que c'est un vieux et triste visage, mais ce morceau de sculpture est excellent.

Je ne sais si vous avez lu une vie d'Henri 4 par un m. de Bury qui s'est avisé, je ne sais pourquoi de comparer notre héros à Philippe roi de Macedoine, auquel il ne ressemble pas plus qu'à Pharaon. Je vous ai déjà dit que cet homme s'était déchainé dans sa préface contre le président de Thou. Nous avons trouvé un vengeur. Un de mes amis s'est chargé de la cause de de Thou contre Bury. Il a inséré dans cette défense quelques anecdotes assez curieuses. Je crois que cet ouvrage peut s'imprimer à Paris. Je le ferai transcrire, je vous l'enverrai et vous en pourrez gratifier l'enchanteur Merlin.

Croyez vous qu'en effet mde Calas vienne faire un tour à Geneve?

Voici un petit mot pour son défenseur et celui des Sirven. Nos pauvres Sirven trouveront la pitié du public bien épuisée; mais enfin nous serons contents si nous obtenons quelque justice. J'espère toujours que le factum de m. de Beaumont sera un chef d'œuvre et un coup terrible porté au fanatisme.

J'attends les mémoires pour et contre Lally et le factum pour m. de la Luzerne. J'attends surtout le Freret dont vous m'avez tant parlé.

Je n'ai point encore pu parvenir à me procurer un exemplaire du philosophe ignorant. On dit qu'il est imprimé à Londres; dès que je l'aurai je ne manquerai pas de vous le faire parvenir.

Les tracasseries de Geneve continuent toujours. Je crois qu'on ne s'en soucie guère à Paris, et je commence à ne m'en plus soucier du tout. Geneve est une grande famille qui faisait fort mauvais ménage, et à qui le roi a fait beaucoup d'honneur en daignant lui envoyer un plenipotentiaire; mais il sera aussi difficile d'inspirer la paix aux genevois que de remplacer melle Clairon à Paris.

Je vous prie mon cher ami de vouloir bien envoyer vingtune livres à m. Duclos pour ma quote part du service que nous avons fait pour m. le dauphin. Il me semble que c'est une dette sacrée dont je dois m'acquitter au plus vite. Je vous aurai bien d l'obligation. Votre amitié sert dans toutes les occasions à la consolation de ma vie; vous ne sauriez croire à quel point je vous regrette.

Il faut que je vous dise encore que mr le chevalier de Neuville à qui vous avez eu la bonté d'envoyer à Angers, une édition de mes œuvres ne l'a point reçue; le pâuet devait être adressé, autet qu'il m'en souvient à mde Foureau libraire à Angers. Je me flatte que m. Thomas a reçu le sien, mais pour celui de Racine, je crois que les éditeurs se sont moqués de nous. Je suis bien fâché qu'on n'ait pas commenté ce grand homme.

Ayez encore la charité je vous en prie de faire parvenir ce petit billet à Dumolard qui dit que vous savez sa demeure, laquelle j'ignore parfaitement.