21 février 1766
L'article vingtième, mon cher ami, est l'ouvrage d'un excellent citoyen et d'un philosophe, qui a de grandes vues.
Je le relirai avec plus d'attention encore. Je suis un peu fâché à la première lecture que l'auteur n'aime pas Jean Baptiste Colbert. Il me semble qu'il ne pardonne pas assez à ce grand ministre qui fut jeté hors de toutes ses mesures par les guerres de Louis 14 et par la magnificence de ce monarque. Il fut obligé de faire pour quatre cent millions d'affaires avec les traitants, immédiatement après avoir signé un arrêt par lequel il était défendu à jamais d'en faire. Il faut songer que le duc de Sully n'avait point de Louvois qui le contrariât éternellement. Quoi qu'il en soit, je suis pénétré de la plus haute estime pour feu m. Boulanger.
J'ai reçu une lettre charmante de m. de Beaumont. Je ferai tout ce qu'il m'ordonne, et je lui écrirai incessamment.
Le bruit a couru dans notre pays de neige que le roi de Prusse était mort, mais cette nouvelle n'est point confirmée. Sil elle l'était, son tombeau pourrait bien être comme celui des anciens princes tartares, sur lequel on immolait des hommes. Il ne serait pas hors de vraisemblance que dans quelque temps la guerre recommençât en Allemagne.
Il me paraît qu'à Paris on ne songe qu'à son plaisir. Cela prouve qu'on a de l'argent; mais il faudra qu'on en ait beaucoup si les cinquante millions se remplissent.
Je vous prie de me faire savoir si Pankouke a envoyé chez vous les six volumes qu'on lui a demandés. Au reste, je voudrais que Merlin se donnât la peine de faire un paquet d'un des six recueils et qu'il le fît adresser par le coche à made Foureau, libraire à Angers, pour m. le chavalier de la Neuville. Il y a un an que ce m. de la Neuville me demande ce petit présent; il faut bien à la fin le satisfaire.
Je serais honteux, mon cher ami, de toutes les peines que je vous donne si je ne connaissais votre cœur. Le mien est affligé aujourd'hui de vous dire si peu de choses. Je voudrais ne m'entretenir qu'avec vous; mais malheureusement j'ai vingt lettres à écrire. Je vous embrasse avec la plus vive tendresse.
Je recommande à vos bontés les volumes du Voltaire portatif. Pouvez vous en envoyer un volume à l'archevêque d'Ausch et m'en faire avoir six exemplaires par la diligence de Lyon à mon adresse à Meyrin, route de Lyon, à Geneve?