1766-03-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je viens de relire le vingtième de m. Boulanger, mon cher ami, et c'est avec un plaisir nouveau.
Il est bien triste qu'un si bon philosophe et un si parfait citoyen nous ait été ravi à la fleur de son âge. Je ne suis pas assez bon financier pour savoir si l'impôt sur les terres suffirait; je vois seulement qu'il n'y a aucun pays aujourd'hui dans le monde, où les marchandises et même les commodités de la vie ne soient taxées. Cela est d'une discussion trop longue pour une lettre et trop embarrassant pour mes faibles connaissances.

L'article unitaire est terrible. J'ai bien peur qu'on ne rende pas justice à l'auteur de cet article, et qu'on ne lui impute d'être trop favorable aux sociniens. Ce serait assurément une extrême injustice, et c'est pour cela que je le crains.

Vous m'avez fait un très beau présent en m'envoyant la réponse du roi au parlement. Il y a longtemps que je n'ai rien lu de si sage, de si noble et de si bien écrit. Les remontrances n'approchent pas assurémt de la réponse. Si le roi n'était pas protecteur de l'académie, il faudrait l'en mettre pour cet ouvrage.

M. Marin m'a fait l'amitié de m'écrire au sujet de ces lettres que Changuion a imprimées. Il me mande qu'il se conduira à son ordinaire comme mon ami, et comme un homme qui veut de la décence dans la littérature. Je ne sais pas qui sont les chiffoniers que vont ramasssant des ordures. Mandez moi je vous prie ce que vous savez de cette nouvelle impertinence. Voulez vous bien m'adresser à Meyrin par le carrosse de Lyon six exemplaires de ce petit Voltaire portatif? C'est un bouclier contre les flèches des méchants.

Protagoras n'est point marié. Tant mieux s'il l'était, parce qu'il ferait des d'Alembert; et tant mieux s'il ne l'est pas, attendu qu'il n'a pas une fortune selon son mérite.

Je plains ce pauvre Laharpe; il est chargé d'une famille, et il n'a pour vivre que son talent.

Je vous embrasse bien tendrement, mon cher frère.

Le petit discours qu'on prétend mettre à la suite du mémoire pour les Sirven n'est qu'une sortie contre le fanatisme, et une exhortation à faire du bien à cette malheureuse famille. Cela n'est bon que pour l'étranger.