1764-10-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Voicy, mon cher frère, un petit mot pour frère Protagoras.
Je ne sais si je vous ai mandé que l'article Messie du portatif était du 1er pasteur de l'église de Lausanne. L'original est encor entre mes mains, et on en avait envoié une copie il y a cinq à six ans aux libraires de l'enciclopédie. Ce morceau me parut assez bien fait. Vous pouvez savoir si on en a fait usage. Il me semble que le même ministre qui se nomme Polier De Bottens en avait envoié plusieurs autres.

L'article apocalipse est fait par un homme d'un très grand mérite nommé Mr Abauzit, et l'article enfer est traduit en grande partie de Mr Warburton, Evêque de Glocester.

Vous voiez que l'ouvrage et incontestablement de plusieurs mains, et qu'ainsi on a très grand tort de me l'attribuer. C'est une vérité dont vous pouvez vous convaincre, en vous informant de ce qu'est devenu le Messie de Polier. Plus vous verrez la vérité de vos propres yeux plus vous serez en droit de la persuader aux autres. Vous verrez surtout par le détail que je vous fais, qu'il y a dans toute l'Europe d'honnêtes gens très instruits, qui pensent, et qui écrivent librement. Chacun de son côté combat le monstre de la superstition fanatique. Les uns lui mordent les oreilles, d'autres le ventre, et quelques uns abboient de loin. Je vous invite à la Curée; mais il ne faut pas que le tonnerre tombe sur les chasseurs.

Lisez, je vous prie les questions proposées à qui poura les résoudre, page 117, dans le journal enciclopédique du 15e 7bre. L'auteur a mis par tout, à la vérité, le mot de bête à la place de celui d'homme; mais on voit assez qu'il entend toujours les bêtes à deux pieds sans plumes. Il n'y a rien de plus fort que ce petit morceau; il ne sera remarqué que par les adeptes, mais la vérité n'est pas faitte pour tout le monde. Le gros du genre humain en est indigne. Quelle pitié que les philosophes ne puissent pas vivre ensemble!

J'aprends dans le moment une nouvelle que je ne veux pas croire, parce qu'elle m'afflige trop pour vous. On dit qu'on suprime tous les emplois concernants le vingtième. Je ne puis croire qu'on laisse inutile un homme de vôtre mérite. Mandez moi, je vous prie, ce qui en est, et comptez, mon cher frère que je m'intéresse plus encor à vôtre bien être qu'à Ecr: L'inf: