1766-10-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher ami la nature me traite bien mal.
Je suis aussi mécontent d'elle que content de vous. Un des plus riches citoyens de Geneve s'est jeté aujourd'hui dans le Rhône. Il disait qu'il était malade; il l'était bien moins que moi, et il avait plus de ressources, puisqu'il était de 25 ans plus jeune. Je ne l'imite point. Un petit nombre d'amis comme vous me fait aimer la vie. D'ailleurs je suis curieux de savoir quel progrès fera la raison, car il me semble qu'elle en fait beaucoup malgré les méchants.

Je recevrai donc incessamment le procès de Rousseau? J'aimerais encore mieux le factum de Sirven. Vous avez fait une belle action d'encourager le zèle d'Elie; sans doute vous ne l'avez pas grondé trop fort. Il est actuellement chez mde Cideville à Launai ouprès de Rouen où je crois qu'il travaille. S'il peut réussir dans cette affaire il aura autant d'honneur que j'aurai de plaisir.

Je pense que vous avez mis votre paquet à la diligence de Lyon pour Meyrin. J'espère le recevoir bientôt. Ce sera une de mes plus chères consolations. C'en est encore une bien grande pour moi que m. Thomas soit de l'académie; c'est un homme d'un rare mérite et d'un grand talent. Quelle différence de lui à Jean Jaques! Dieu nous donne beaucoup de philosophes comme m. Thomas et tout ira bien.

Nous avons chez nous le marquis de Villevieille, capitaine au régiment du roi, dont vous avez oui sans doute parler. Vous avez dû voir Pierre Calas. Souvenez vous, mon cher ami, de ces deux derniers articles.

Adieu. Puisse votre estomac être aussi bon que votre tête et votre cœur.