1766-03-03, de François Louis Claude Marin à Voltaire [François Marie Arouet].

Un libraire de Hollande, monsieur, nommé Changuyon, vient de faire imprimer non des Lettres secretes, mais des lettres à nos amis du Parnasse qui en effet ne sont pas secrètes puisque plusieurs ont paru dans les journaux publics.
Il m'avoit envoyé ces Lettres pour demander la permission de les laisser entrer en France. Je les ai lües et j'ai trouvé qu'elles étoient accompagnées des notes les plus impertinentes même Contre vous. Vous connoissés mon vif intérêt pour votre gloire et vous vous doutés bien que j'ai répondu à cet homme avec l'indignation que son entreprise avoir dû m'inspirer.

Cet homme ne s'est pas cru battu et revient à composition. Il me répond qu'il a retranché la moitié des notes qu'on lui avoit envoyées et qu'il est prêt à faire des Cartons et à retrancher toutes celles qui me choqueront. Cette proposition est au moins raisonnable et comme je ne doute pas que ce livre ne vous soit également parvenu, je vous prie de me dire si outre toutes les notes vous voudriés qu'on retranchât autre chose dans cette édition et s'il vous déplairoit qu'elle parût ainsi Corrigée. Je pense qu'il faudroit ôter aussi la lettre à m. Haller et sa réponse.

Je relirai ce récueil et je ne répondrai à ce libraire qu'après avoir reçu de vos nouvelles.

Il y auroit un très bon ouvrage à faire, ce seroit un recueil choisi de vos lettres familiaires. Il y en a à Paris une quantité prodigieuse et dans toutes Il règne ou une gayeté charmante ou des traits de génie sublimes. Ce récueil fait avec choix et de votre aveu préviendroit l'avidité de tous ces maudits libraires de Holland qui nous impriment tous les jours tout ce qui porte votre nom. C'est là un malheur attaché à la célébrité et dont vos cendres même ne seront point à l'abri lorsque les destinées vous auront enlevé au monde que vous éclairés et dont vous avés fait la gloire.

Vous sçavés que mlle Clairon va remonter sur le théâtre. On dit que vous lui avés donné une certaine tragédie intitulée le siège de Paris. Cette nouvelle a t'elle quelque fondement? Vous ne me mettés jamais dans vos secrets et il n'y a personne au monde qui mérite plus par ses sentiments, votre confiance.

Nous avons suivi vos intentions pour les vers sur m. le dauphin. Ils n'ont point été réimprimés à Paris. Ils l'auroient été sans votre prière et sans la bergère de Nantére. Nous avons trouvé qu'il ne falloit pas plaisanter sur un événement où la cour et la ville ne trouvoient pas le mot pour rire.

Adieu, monsieur, aimés moi toujours un peu et comptés sur tout mon zèle et sur mes sentiments respectueux.

Marin