[1735/1736]
Monsieur,
Mon Libraire vient de me montrer quelques remarques sur ma troisiême lettre Juive, que vous avés eu la bonté de lui remettre. On ne peut vous être plus obligé que je le suis de la complaisence que vous voulés bien avoir de jeter les yeux sur un Ouvrage qui mérite si peu d'attention. Aussi prens-je la liberté de répondre à vos notes, c'est moins pour m'excuser, que pour chercher à m'instruire.
A Voltaire, je crois que la réputation suffit.
J'avois cru que je pouvois lui donner quelque chose de plus qu'une réputation ordinaire aux gens de Lettre; il est même à Paris regardé au dessus de ces Confrères; Mais puisque vous le voulés, je m'en tiens à votre décision, & vous prie de coriger la Phrase.
Il y eut 30 ans, ce fut en 1710. Je vous avourai que j'ignorois l’époque précise de la destruction du Pont Royal, & comme j'ai peu des Livres chés moi, je m'en suis raporté à ma mémoire.
Avidité des bêtes féroces.
J'ai voulu dire l'avidité des Loups dont les Fôrêts de Versaille, de Fontainebleau, & de St Germain sont remplies & vous savés qu'il y eut des cadavres qui restèrent deux jours exposés dans les champs. Vous verrés quelle expression plaira davantage.
Quant à l'article du bannissement de Voltaire & de Rouseau, vous me permettrés de ne pas être de votre sentiment. Il est encor bien des gens à Paris qui croient fermement qu'il n'est point l'Auteur des Couplets qu'on lui avoit attribués. D'ailleurs sa peine étoit trop rigoureuse. Quand à Voltaire jamais son insolence n'a été cause de son bannissement. Permettés que je vous assure que je sai l'affaire d'origine, & que ces seules Lettres Philosophiques ont été le seul sujet de son exil. C'est ce qui fait précisément la matière en question, qui tend à prouver que les moindres sentimens un peu hardis attirent des affaires aux Auteurs.
Je ne sai si Voltaire sera content du parallèle dont vous prétendés que Rouseau à lieu de se plaindre, mais je crois, qu'il à plus lieu de le trouver mauvais. J'examine en passant les Ouvrages de Rouseau, & je n'y trouve que 30 à 40 feuillet, qui doivent lui avoir aquis l'estime des Connoisseurs. Je réduis sa réputation à son Edition de Soleure & dans cette même Edition, je retranche encor quelques Poësies foibles, eu égard à ses Odes sacrés, & à ses Odes Héroïques, qui sont en tout au nombre de 24. Je ne pense pas, Monsieur, que vous estimiés les Comédies de Rouseau, les Opéras, quelque Poësies froides & dans le goût Allemand, qu'il a composé depuis son exil. Au lieu que Voltaire se soutient toûjours. Sa Zaïre n'a point démenti son Henriade & franchement j'aimerois mieux avoir fait ces deux mourceaux, que tout ce que Rouseau à produit. Voltaire écrit d'ailleurs en Prose infiniment mieux que l'autre, & je vous serai obligé de ne rien changer à cet article.
J'ai fait sentir, il me semble, que l'Académie des Sciences, traite plus rarement ces sujets de Métaphisique que les autre, en disant qu'elle ne pousse ses réflexions sur ce sujet que jusqu’à un certain point. J'ai partagé le diférant sur cet article, j'ai efacé le mot de Politique, qui m’étoit échapé, pour arondir ma Phrase.
Lorsque j'ai parlé des recherches de l'Antiquité, je n'ai pas prétendu parler de celles où s'occupe précisément l'Académie des Sciences, mais d'un nombre d'autres qui n'aissent nécessairement de l’étude des autres Sciences. Vous savés, Monsieur, que Ciceron dit qu'elles se tienent toutes par la main; cependant pour éviter tout équivoque, j'ai profité de votre conseil. Je vous prie Monsieur de vouloir me continuer des avis qui me sont aussi utiles, & je m'estimerai heureux, si vous voulés m'accorder cette grâce. Je suis
Monsieur avec un respectueux attachement, votre très humble & très obéissant serviteur
A.