à Paris le 9 juillet 1739
Il y a huit jours Mon cher Monsieur que notre ami Mr Debacq m'invita à diner chés Luy pour avoir le plaisir de nous entretenir de vous, ce qui fut exécuté avec beaucoup de zèle et de cordialité.
Il me montra la dernière lettre que vous luy aviés écrite et j'i lus avec un véritable chagrin qu'autrefois il n'avoit tenu qu'à vous de revenir à Paris à des conditions que vous refusâtes et qui cependant auraient perdu depuis longtems L'amertume qu'elles pouuoient vous présenter alors. Je voudrois de tout mon coeur que ce moyen pût encore estre pratiqué, il vous rendroit à des amis fidelles et La patrie recevroit un honneur de revoir dans son sein un grand homme dont la longue absence devroit La faire gémir. Nous bûmes à votre santé, ce qui fut accompagné de la part de mr Debacq de plusieurs passages d'Horace heureusement appliqués. Il étoit juste que cet auteur eût La préférence puisqu'il s'agissoit de celuy qui l'a si bien ressucité en France. Pardonnés moy ces vérités, elles ne tiennent rien de l'éloge; elles échappent plustôt à mon coeur qu'à mon esprit, vous le reconnoistrés facilement au stile.
Je n'ai pu voir L'abbé Desfontaines depuis notre dernière, il va souvent à la Campagne dans cette saison, et nous sommes si éloignés les uns des autres qu'il n'est pas facile de se joindre sans s'estre prévenus par lettre. Je suis étonné que son amitié vous ait donné lieu à luy faire des reproches, mais ce qui me surprend encore davantage c'est que vous ayés lieu d'en attribuer la cause à Volterre. Seroit il possible qu'il pût y avoir entre eux quelque réconciliation? Elle ne pouroit estre tout au plus que normande àpropos de ce poète philosophe newtonien. Il va paraistre un livre Contre luy et contre l'attraction par un nommé mr de Banniere qui va furieusement troubler l'intelligence de ce nouveau sectateur du vide. Je croy qu'il luy prouvera que s'il y en a dans la nature C'est tout auplus dans sa tête. Cet ouvrage est décdié à mr Le duc de Chartres, l'auteur est déjà connu par un traitté sur les couleurs et les sons qui a eu un grand succès chés les Connoisseurs. J'ay déjà veu cet ouvrage dans la main d'un de mes amis, mais Je n'en ai rien lu.
Il a pour titre Examen, et réfutation des Elemens de la philosophie de New ton de mr de Volterre, à Paris chés Lambert, et Durand. La préface a 98 pages, le corps de l'ouvrage en a 308, et est approuvé par le sr de Montcarville, mtre de mathématiques et censeur.
Je sçais mauvais gré à l'abbé Desfontaines de ne vous avoir pas Envoyé son dernier ouvrage Contre Le Dolivet, il n'est pas sous son nom. Vous êtes la Cause que je l'ai lu, [. . .] même avec satisfaction, et j'ay veu avec plaisir qu'il avoit Conservé un ton de politesse dont L'abbé Dolivet et son approbateur sembloient L'avoir dispensé, mais ce ton a plus achevé de mettre le Dolivet dans sont tort, que s'il l'avoit imité. Je n'ai point encore entendu dire que l'édition de vos odes sacrées parut en France. L'éditeur est brouillé je pense avec l'imprimeur de sorte que Je doute que son projet ait son exécution. Faites moi du moins le plaisir de m'envoyer le sonnet que vous voulés qu'on en retranche pour les raisons que vous m'avés dites; puisque vous m'exhortés encore à faire usage de ce petit éloge funèbre je me résous à le rendre public. J'ay l'honneur d'estre de tout mon coeur Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur
De Bonneval
Le fils unique du sr Pelletier Desforts, Cy devant ctrolleur général est mort depuis quelques jours de la petite vérole.