[?February 1751]
Je reçois une étrange liste que vous avez donnée à ma nièce des indignes ouvrages que vous voulez mettre sous mon nom, et il est fort étrange que ce soit là la première nouvelle que j'aye de vous quand vous faites une édition de mes œuvres.
Quoy qu'on me regarde comme un homme mort dont on partage les dépouilles, je vous diray pourtant qu'il faut ne se saisir que des dépouilles qui sont à moy.
Une nouvelle en prose ou la comtesse de… Cet ouvrage impertinent est d'un jeune homme nommé de la Chaize et il n'y a que de la canaille qui puisse me l'attribuer.
L'épitre a mr l'abbé de Rotelin est de mr Formont, et il faut avoir perdu le bon sens pour imaginer que je parle de moy même comme il en est parlé dans cette épître.
L'apoteose de melle le Couvreur, est une pièce aussi scandaleuse que mal écritte, elle est d'un nommé Bonneval. L'idée seule de la mettre sous mon nom est une offense que je ne peux vous pardonner. Et une des raisons pour les quelles j'avois fait saisir l'édition de Chartres ou de Rouen, et poursuivre les imprimeurs, étoit qu'ils avoient mis parmy mes œuvres cet abominable ouvrage.
Des vers pour le portrait de madame de Chatelleraut ne sont pas plus de moy que de vous. Ceux pour mr le prince de Clermont, tout de même. Je désavoue absolument le temple de la gloire et la princesse de Navarre. Ils ne sont point dans L'édition de Dresde, et ne doivent point y être. Ce sont des ouvrages de commande que je fis faire par de jeunes gens et que je ne soufriray jamais dans le receuil de mes ouvrages.
A L'égard de Zadig vous savez que je vous ay envoyé des corrections pour ce petit ouvrage les quelles sont absolument nécessaires.
Il me semble que je vous ay assez marqué ma bonne volonté en vous faisant tenir les changements, additions et corrections qui peuvent enrichir votre édition, et luy donner une supériorité reconnue sur touttes les autres. Mais le point principal dont je vous ay averti, c'est qu'il faut ranger tout par ordre de matière, les odes, avec les odes, les épîtres avec les épîtres etc. et si vous avez manqué à ce point capital, vous aurez gâté votre édition sans retour.
Pour peu que vous eussiez eu d'envie de bien faire, et de contenter le public et moy, vous m'auriez envoyé une liste des pièces que vous imprimiez. Je vous aurois guidé. Tout eût été bien fait. Mais vous n'avez gardé avec moy aucune bienséance.
Il est peutêtre encor temps de corriger vos fautes et de m'envoier cette liste. Il faut qu'elle soit d'une écriture très menue, et qu'elle ne tienne pas plus de 4 pages.
Peutêtre m'avez vous écrit, mais je vous avertis que j'ay refusé tous les gros paquets qui m'ont été adressez quand ils ne me viennent pas sous le couvert de ma nièce. Ainsi vous aurez perdu votre peine. Si vous voulez m'écrire, il faut donner à ma nièce votre lettre en main propre et ne point envoyer de gros paquets qui resteroient au rebut.
Aureste voicy des corrections qui sont absolument nécessaires à votre édition. Je vous répète qu'il sera nécessaire que vous fassiez faire une préface courte et raisonable dans laquelle vous indiquerez tous ces changements qui distinguent votre édition de touttes les autres. Lisez je vous prie attentivement le papier cy joint.
Aureste vous pourez en présentant mes très humbles devoirs à M. de Malzerbe l'assurer que ny Praut ny personne n'ont aucun droit à mes ouvrages que si quelqu'un a obtenu un privilège pour quelque pièce de téâtre, ce privilège est expiré, et que c'est à moy que les privilèges appartiennent. Mes compliments à toutte votre maison.
Voltaire